Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de J. Arnould, « Tur­bu­lences dans l’univers : Dieu, les extra­ter­restres et nous », in Revue des ques­tions scien­ti­fiques, vol. 189, 2018, n°1 – 2, pp. 221 – 223.

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Jacques Arnould

Turbulences dans l’univers

Dieu, les extraterrestres et nous

Tur­bu­lences dans l’univers : Dieu, les extra­ter­restres et nous. – Paris : Édi­tions Albin Michel, 2017. – 281 p.

Parce qu’il estime inutile d’attendre que l’existence d’une vie extra­ter­restre soit scien­ti­fi­que­ment avé­rée pour com­men­cer à anti­ci­per les consé­quences théo­lo­giques qui en résul­te­raient ; parce qu’il croit que les pro­ba­bi­li­tés de la décou­verte d’une telle exis­tence n’ont jamais été aus­si éle­vées qu’à notre époque ; parce qu’il pense qu’une telle décou­verte, loin de nous contraindre à poser un choix exclu­sif entre Dieu et les extra­ter­restres (comme d’aucuns se plaisent à le faire croire), pour­rait, au contraire, consti­tuer une véri­table oppor­tu­ni­té pour faire pro­gres­ser, dans l’intelligence de leur foi, ceux qui auront le cou­rage de prendre au sérieux cette nou­velle donne au lieu d’en res­ter aux adap­ta­tions cos­mé­tiques stric­te­ment requises par cette nou­velle situa­tion ; parce qu’il estime que la tra­di­tion chré­tienne a suf­fi­sam­ment de res­sources internes pour affron­ter cette décou­verte poten­tielle et gérer le choc spi­ri­tuel qui ne man­que­rait pas d’en résul­ter, l’auteur de cet essai s’est deman­dé, en théo­lo­gien chré­tien, non pas si la foi s’accommoderait ou non d’une telle exis­tence, mais plu­tôt quel regard renou­ve­lé cette exis­tence l’amènerait à por­ter sur les fon­de­ments de la reli­gion qui est la sienne. Pour ce faire, il nous invite à pra­ti­quer, avec lui, une expé­rience de pen­sée : pos­tu­ler, sans autres pré­ci­sions super­fé­ta­toires, l’existence d’une vie extra­ter­restre évo­luée et éven­tuel­le­ment intelligente.

Au sein d’un livre cou­pé en deux par­ties très dif­fé­rentes et sans guère de connexions entre elles — un récit his­to­rique de seconde main d’une part, un essai théo­lo­gique de l’autre —, cette expé­rience de pen­sée occupe la seconde, alors que la pre­mière nous pro­pose, sur plus d’une cen­taine de pages, « l’histoire d’une croyance », en l’occurrence le rele­vé vul­ga­ri­sé de tous les auteurs s’étant expri­més, depuis Épi­cure jusqu’au XXe siècle, sur la plu­ra­li­té des mondes et/ou sur la pos­si­bi­li­té d’une vie extra­ter­restre. S’il pré­sente assu­ré­ment l’intérêt d’être très com­plet et ins­truc­tif, ce rele­vé, au sein duquel chaque auteur a droit à quelques lignes, n’offre cepen­dant pas une ana­lyse appro­fon­die des posi­tions des uns et des autres et s’avère le plus sou­vent inuti­li­sable pour l’historien de pro­fes­sion en rai­son de l’absence de toutes réfé­rences biblio­gra­phiques. Sous pré­texte que cette his­toire se réduit à n’être rien d’autre qu’une « caco­pho­nie » ou qu’un « dia­logue de sourds » (p. 145), l’auteur ne dresse aucune syn­thèse ni aucune conclu­sion de cette pre­mière par­tie, se pri­vant ain­si de tirer par­ti de la docu­men­ta­tion qu’il a pour­tant accu­mu­lée. Il n’eut pour­tant pas été inin­té­res­sant de faire le rele­vé des prin­cipes uti­li­sés au cours de ce débat mil­lé­naire et de retra­cer l’évolution de leur usage cours du temps : le prin­cipe d’homogénéité et d’uniformité, selon lequel tout est par­tout iden­tique (ex. : il existe ici une Terre habi­tée, donc il doit aus­si en exis­ter ailleurs) ; le prin­cipe de plé­ni­tude, qui sou­tient que tout ce qui est pos­sible doit for­cé­ment être (ex. : un monde infi­ni ou une plu­ra­li­té infi­nie de mondes est pos­sible, donc il doit en être ain­si, sans quoi cette cause infi­nie qu’est Dieu ne don­ne­rait pas lieu à des effets qui soient eux‐mêmes infi­nis) ; le prin­cipe d’unité, qui affirme que le monde est véri­ta­ble­ment un cos­mos beau et har­mo­nieux (ex. : la per­fec­tion du cos­mos est tri­bu­taire d’une uni­té qui ne peut se conten­ter d’être per­cep­tible par Dieu seul, mais qui doit aus­si se mani­fes­ter aux hommes à tra­vers la créa­tion elle‐même ; donc la plu­ra­li­té de mondes dis­tincts les uns des autres est inac­cep­table) ; la convic­tion de l’existence d’un fina­lisme géné­ra­li­sé au sein de la Créa­tion, en l’occurrence la croyance qu’une réa­li­té qui ne serait en vue d’aucune fin par­ti­cu­lière ne pour­rait pas exis­ter (ex. : les satel­lites de Jupi­ter ne peuvent avoir été créés pour les Ter­riens, puisque ceux‐ci viennent seule­ment de prendre conscience de leur exis­tence ; donc il doit exis­ter, sur Jupi­ter, des habi­tants pour les­quels ils sont utiles) ; la néces­si­té de res­pec­ter la sacro‐sainte toute‐puissance de Dieu, soit le cri­tère par excel­lence qui ser­vait, prin­ci­pa­le­ment au moyen âge, à jau­ger l’orthodoxie, et donc la véri­té, d’une affir­ma­tion quelle qu’elle soit (ex. : prô­ner un monde unique, c’est arbi­trai­re­ment limi­ter la toute‐puissance de Dieu ; donc il faut veiller à lais­ser au Créa­teur la pos­si­bi­li­té de créer un seul monde ou au contraire une plu­ra­li­té de mondes) ; et enfin, last but not least, la convic­tion anthro­po­cen­trique, soit l’idée selon laquelle l’homme est le som­met et la fin der­nière de la créa­tion (ex. : rien ne doit venir amoin­drir la rela­tion unique et pri­vi­lé­giée qui existe entre Dieu et les hommes, donc les extra­ter­restres n’existent pas). Autant de prin­cipes qui, bien sûr, se ren­forcent ou se com­battent mutuel­le­ment. De même, il n’eut sans doute pas été inutile de dres­ser, en conclu­sion, l’inventaire non seule­ment des argu­ments avan­cés par les uns et les autres, mais encore des pro­blèmes sou­le­vés. Ceux‐ci, à par­tir du début du XVe siècle, cessent de tour­ner autour de la toute‐puissance créa­trice de Dieu pour se foca­li­ser sur la dif­fi­cile ques­tion du péché des extra­ter­restres et des moda­li­tés de leur éven­tuel salut. De ce point de vue, plu­sieurs échap­pa­toires per­mettent d’éviter de mettre en ques­tion les dogmes chré­tiens de l’Incarnation et de la Rédemp­tion : 1°) les extra­ter­restres n’existent tout sim­ple­ment pas ; 2°) ils existent, mais ce ne sont pas des hommes ; 3°) ce sont des hommes, mais qui ne des­cendent pas d’Adam, de sorte qu’ils n’ont pas été tou­chés par le péché ori­gi­nel. En revanche, envi­sa­ger, voire affir­mer, leur exis­tence et leur nature de pécheur, c’est s’exposer à une ava­lanche de pro­blèmes : la Rédemp­tion opé­rée sur la seule Terre peut‐elle appor­ter le salut à toutes les créa­tures de l’univers ou faut‐il admettre des Incar­na­tions mul­tiples ? Celles‐ci doivent‐elles être simul­ta­nées ou suc­ces­sives ? À moins que Dieu dis­pose d’un autre moyen que celui que nous connais­sons pour remettre leurs fautes aux pécheurs… Comme en témoigne ce bref aper­çu, ce sont prin­ci­pa­le­ment la théo­lo­gie de la créa­tion et la chris­to­lo­gie qui, face à une exis­tence extra­ter­restre, doivent être pen­sées à nou­veaux frais.

Dans la seconde par­tie que nous déve­lop­pe­rons moins, car elle concerne moins direc­te­ment les lec­teurs de la Revue des ques­tions scien­ti­fiques, l’auteur s’attache à repen­ser ces pans de la théo­lo­gie chré­tienne en s’inspirant de Teil­hard de Char­din et en ayant en ligne de mire les créa­tion­nistes et les fon­da­men­ta­listes — ce qui est nor­mal —, mais éga­le­ment — ce qui est tout de même plus déli­cat — cet anthro­po­cen­trisme qu’il qua­li­fie à maintes reprises de « maquillage » et dont il feint d’ignorer qu’il trouve sa source direc­te­ment dans la Bible. Nous com­pre­nons bien qu’il doive le faire : les reli­gions les plus vul­né­rables face à la décou­verte d’une vie extra­ter­restre évo­luée sont effec­ti­ve­ment celles qui sou­tiennent un tel anthro­po­cen­trisme, mais le rejet d’une concep­tion aus­si pré­gnante aurait sans doute méri­té un tra­vail d’élucidation his­to­rique et concep­tuelle qui ne nous semble pas avoir été fait.