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Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de J. Reisse, « Aver­roès, Coper­nic, Bru­no et Gali­lée : rai­son, croyances et pou­voirs reli­gieux », in Revue des ques­tions scien­ti­fiques, vol. 193, 2022, n°1 – 2, pp. 230 – 232. 

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Jacques Reisse

Averroès, Copernic, Bruno et Galilée

Raison, croyances et pouvoirs religieux

Reisse (Jacques), Aver­roès, Coper­nic, Bru­no et Gali­lée : rai­son, croyances et pou­voirs reli­gieux / post­face de Domi­nique Lam­bert. – Bruxelles : Aca­dé­mie royale de Bel­gique, 2021. – 242 p. – (Regards).

Inquiet (comme nous) par le retour du fon­da­men­ta­lisme reli­gieux, l’auteur cherche, avec rai­son, « à mieux com­prendre le pré­sent à la lumière d’un pas­sé qui mérite d’être rap­pe­lé » (p. 14). Mais pour que cette com­pré­hen­sion soit effec­ti­ve­ment au rendez‐vous, il faut que ce pas­sé soit rap­pe­lé le plus pré­ci­sé­ment pos­sible. Exa­mi­ner, à par­tir de quelques exemples, si tel est bien le cas sera l’objectif, assu­ré­ment limi­té, de ce compte ren­du, étant don­né que Domi­nique Lam­bert s’est déjà atta­ché, dans la post­face de l’ouvrage, à com­men­ter cer­taines des convic­tions de l’auteur, telles que le carac­tère iné­luc­table des conflits entre dis­cours scien­ti­fiques et dis­cours religieux.

Concer­nant la toute pre­mière ques­tion posée, à savoir « La Terre est‐elle plate ou ronde ? » (p. 11) — ques­tion qu’il convien­drait de dis­tin­guer soi­gneu­se­ment de celle de l’existence d’antipodes ! —, nous sommes prêts, par prin­cipe, à accep­ter que « durant le Moyen Âge, ceux des croyants qui défendent tou­jours l’idée d’une Terre plate font réfé­rence à Lac­tance » (p. 46) pour­vu que cette double affir­ma­tion soit prou­vée ou du moins réfé­ren­cée. En revanche, il nous paraît impos­sible de rece­voir l’allusion coper­ni­cienne au « Cicé­ron, chré­tien » pré­sente dans la Prae­fa­tio autho­ris du De revo­lu­tio­ni­bus1 comme une démons­tra­tion « que même au XVIe siècle, la croyance en une Terre plate n’avait pas tota­le­ment dis­pa­ru » (p. 46). En effet, par ce « rap­pel de la bévue de Lac­tance » (Coper­nic, 2015, vol. 1, p. 467), l’astronome polo­nais cherche « seule­ment » à anti­ci­per et à contre­car­rer la réac­tion qui pour­rait être celle de cer­tains « vains dis­cou­reurs »  : dès lors qu’un ouvrage mathé­ma­tique comme le sien ne peut être éva­lué que sur base d’arguments qui le sont aus­si (c’est le fameux « mathe­ma­ta mathe­ma­ti­cis scri­bun­tur » qui suit immé­dia­te­ment le pas­sage visé), Coper­nic annonce qu’il ne tien­dra pas compte du juge­ment de ceux qui seraient ten­tés de condam­ner son tra­vail « en rai­son de tel ou tel pas­sage de l’Écriture mali­gne­ment détour­né » (Coper­nic, 2015, vol. 2, p. 9. Nous sou­li­gnons). Il s’agit donc là d’une reven­di­ca­tion rela­tive au type d’arguments rece­vables pre­nant pour exemple ce qui allait deve­nir un locus clas­si­cus par­mi les coper­ni­ciens et nul­le­ment du sou­ci de com­battre une croyance, en l’occurrence celle de la Terre plate, qui n’aurait pas encore com­plè­te­ment dis­pa­ru. « Détail », diront cer­tains ! Sauf qu’il reste encore et tou­jours à com­battre le mythe, savam­ment construit2, selon lequel, pour le dire rapi­de­ment, le moyen âge chré­tien a évi­dem­ment igno­ré la sphé­ri­ci­té terrestre !

Si l’on peut assu­ré­ment prendre pour hypo­thèse de tra­vail que Coper­nic et Dar­win ont par­ta­gé la convic­tion selon laquelle « les conclu­sions aux­quelles ils étaient arri­vés étaient en contra­dic­tion si pro­fonde avec ce que disait la Bible qu’elles seraient néces­sai­re­ment cri­ti­quées voire reje­tées et que donc, par pru­dence, mieux valait en post­po­ser la publi­ca­tion », cette expli­ca­tion, par un phé­no­mène d’autocensure, de leur com­mune « longue hési­ta­tion » à rendre publics leurs tra­vaux ne nous semble nul­le­ment « s’imposer » (pp. 84 – 86). Pour nous en tenir à l’astronome polo­nais et comme nous l’avons vu, ce que celui‐ci anti­ci­pait, tout en annon­çant ne pas s’en sou­cier, ce n’était nul­le­ment une contra­dic­tion réelle avec la Bible, mais bien — et la dif­fé­rence est de taille ! — l’usage que de « vains dis­cou­reurs » pour­raient faire de pas­sages de l’Écriture « mali­gne­ment détour­nés ». Comme l’auteur le sait par­fai­te­ment (p. 93), c’est Osian­der, et non Coper­nic, qui, par sa pré­face ano­nyme et non auto­ri­sée, s’est mon­tré par­ti­cu­liè­re­ment « pru­dent voire timo­ré » (p. 85). Comme l’auteur semble cette fois l’ignorer, ce n’est per­sonne d’autre que le seul et unique élève direct de Coper­nic, à savoir Rhe­ti­cus, qui s’est atta­ché à rédi­ger un trai­té3 mon­trant « très clai­re­ment […] que le mou­ve­ment de la Terre ne contre­dit pas les saintes Écri­tures », rai­son pour laquelle Tie­de­mann Giese, le meilleur ami de notre astro­nome, sou­hai­tait sa publi­ca­tion (Coper­nic, vol. 1, pp. 210 – 211). S’il y avait donc, dans l’entourage immé­diat de Coper­nic, la conscience d’un conflit poten­tiel avec une cer­taine inter­pré­ta­tion de la Bible — alors majo­ri­taire, reconnaissons‐le ! —, il n’y avait nul­le­ment la convic­tion d’une oppo­si­tion inévi­table, car intrinsèque.

Gali­lée enfin ! L’auteur a le mérite de le recon­naitre sans détour : à l’époque du savant flo­ren­tin, « il n’existe aucune preuve directe », « défi­ni­tive » « et indis­cu­table des mou­ve­ments de la Terre » (p. 174, p. 197 et p. 214). Dans de telles cir­cons­tances, la réac­tion de Bel­lar­min, expri­mée dans le seul pas­sage de sa célèbre lettre à Fos­ca­ri­ni que l’auteur oublie de citer, nous semble adé­quate : si une véri­table démons­tra­tion de l’héliocentrisme venait à être pro­duite, bien que je doute per­son­nel­le­ment que cela soit pos­sible, il fau­dra plu­tôt recon­naître que nous ne com­pre­nons pas les pas­sages des Écri­tures qui lui semblent contraires plu­tôt que de tenir pour faux ce qui serait doré­na­vant démon­tré ; mais tant qu’une telle démons­tra­tion ne sera pas four­nie et compte tenu du fait que démon­trer la pos­si­bi­li­té de l’héliocentrisme n’est pas encore démon­trer sa réa­li­té, il ne convient pas d’abandonner l’interprétation tra­di­tion­nelle des saintes Écri­tures (nous paraphrasons).

Comme on l’aura com­pris, la valeur de cet ouvrage, qui relève davan­tage d’un essai que d’un véri­table tra­vail aca­dé­mique, réside sur­tout dans le pré­cieux témoi­gnage qu’il nous livre : celui d’un homme qui, avec beau­coup d’honnêteté, aborde la ques­tion des « rela­tions entre pra­ti­ciens des sciences de la nature et pou­voirs reli­gieux » (p. 17) et dont les dif­fi­cul­tés res­sen­ties per­mettent de prendre conscience de ce qui doit, encore et tou­jours, être mieux tra­vaillé et davan­tage expliqué.

1 Coper­nic, N. (2015). De revo­lu­tio­ni­bus orbium cœles­tium. Des révo­lu­tions des orbes célestes (édi­tion cri­tique, tra­duc­tion et notes par M.-P. Ler­ner, A.-Ph. Segonds et J.-P. Ver­det). (Science et huma­nisme ; 11). Paris : Socié­té d’édition « Les Belles Lettres ». Ici, vol. 2, p. 9.

2 Cf. Giacomotto‐Charra, V., & Nony, S. (2021). La Terre plate : généa­lo­gie d’une idée fausse. Paris : Les Belles Lettres.

3 Cf. Rhe­ti­cus, G. J. (1984). G. J. Rhe­ti­cus’ Trea­tise on holy scrip­ture and the motion of the earth (with trans­la­tion, anno­ta­tions, com­men­ta­ry and addi­tio­nal chap­ters on Ramus‐Rheticus and the deve­lop­ment of the pro­blem before 1650 by R. Hooy­kaas). (Verhan­de­lin­gen der Konink­lijke Neder­landse Aka­de­mie van Weten­schap­pen, Afd. Let­ter­kunde, Nieuwe reeks ; Deel 124). Amster­dam ; Oxford ; New York : North‐Holland Publi­shing Company.

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