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Jacques Reisse
Averroès, Copernic, Bruno et Galilée
Raison, croyances et pouvoirs religieux
Reisse (Jacques), Averroès, Copernic, Bruno et Galilée : raison, croyances et pouvoirs religieux / postface de Dominique Lambert. – Bruxelles : Académie royale de Belgique, 2021. – 242 p. – (Regards).
Concernant la toute première question posée, à savoir « La Terre est‐elle plate ou ronde ? » (p. 11) — question qu’il conviendrait de distinguer soigneusement de celle de l’existence d’antipodes ! —, nous sommes prêts, par principe, à accepter que « durant le Moyen Âge, ceux des croyants qui défendent toujours l’idée d’une Terre plate font référence à Lactance » (p. 46) pourvu que cette double affirmation soit prouvée ou du moins référencée. En revanche, il nous paraît impossible de recevoir l’allusion copernicienne au « Cicéron, chrétien » présente dans la Praefatio authoris du De revolutionibus1 comme une démonstration « que même au XVIe siècle, la croyance en une Terre plate n’avait pas totalement disparu » (p. 46). En effet, par ce « rappel de la bévue de Lactance » (Copernic, 2015, vol. 1, p. 467), l’astronome polonais cherche « seulement » à anticiper et à contrecarrer la réaction qui pourrait être celle de certains « vains discoureurs » : dès lors qu’un ouvrage mathématique comme le sien ne peut être évalué que sur base d’arguments qui le sont aussi (c’est le fameux « mathemata mathematicis scribuntur » qui suit immédiatement le passage visé), Copernic annonce qu’il ne tiendra pas compte du jugement de ceux qui seraient tentés de condamner son travail « en raison de tel ou tel passage de l’Écriture malignement détourné » (Copernic, 2015, vol. 2, p. 9. Nous soulignons). Il s’agit donc là d’une revendication relative au type d’arguments recevables prenant pour exemple ce qui allait devenir un locus classicus parmi les coperniciens et nullement du souci de combattre une croyance, en l’occurrence celle de la Terre plate, qui n’aurait pas encore complètement disparu. « Détail », diront certains ! Sauf qu’il reste encore et toujours à combattre le mythe, savamment construit2, selon lequel, pour le dire rapidement, le moyen âge chrétien a évidemment ignoré la sphéricité terrestre !
Si l’on peut assurément prendre pour hypothèse de travail que Copernic et Darwin ont partagé la conviction selon laquelle « les conclusions auxquelles ils étaient arrivés étaient en contradiction si profonde avec ce que disait la Bible qu’elles seraient nécessairement critiquées voire rejetées et que donc, par prudence, mieux valait en postposer la publication », cette explication, par un phénomène d’autocensure, de leur commune « longue hésitation » à rendre publics leurs travaux ne nous semble nullement « s’imposer » (pp. 84 – 86). Pour nous en tenir à l’astronome polonais et comme nous l’avons vu, ce que celui‐ci anticipait, tout en annonçant ne pas s’en soucier, ce n’était nullement une contradiction réelle avec la Bible, mais bien — et la différence est de taille ! — l’usage que de « vains discoureurs » pourraient faire de passages de l’Écriture « malignement détournés ». Comme l’auteur le sait parfaitement (p. 93), c’est Osiander, et non Copernic, qui, par sa préface anonyme et non autorisée, s’est montré particulièrement « prudent voire timoré » (p. 85). Comme l’auteur semble cette fois l’ignorer, ce n’est personne d’autre que le seul et unique élève direct de Copernic, à savoir Rheticus, qui s’est attaché à rédiger un traité3 montrant « très clairement […] que le mouvement de la Terre ne contredit pas les saintes Écritures », raison pour laquelle Tiedemann Giese, le meilleur ami de notre astronome, souhaitait sa publication (Copernic, vol. 1, pp. 210 – 211). S’il y avait donc, dans l’entourage immédiat de Copernic, la conscience d’un conflit potentiel avec une certaine interprétation de la Bible — alors majoritaire, reconnaissons‐le ! —, il n’y avait nullement la conviction d’une opposition inévitable, car intrinsèque.
Galilée enfin ! L’auteur a le mérite de le reconnaitre sans détour : à l’époque du savant florentin, « il n’existe aucune preuve directe », « définitive » « et indiscutable des mouvements de la Terre » (p. 174, p. 197 et p. 214). Dans de telles circonstances, la réaction de Bellarmin, exprimée dans le seul passage de sa célèbre lettre à Foscarini que l’auteur oublie de citer, nous semble adéquate : si une véritable démonstration de l’héliocentrisme venait à être produite, bien que je doute personnellement que cela soit possible, il faudra plutôt reconnaître que nous ne comprenons pas les passages des Écritures qui lui semblent contraires plutôt que de tenir pour faux ce qui serait dorénavant démontré ; mais tant qu’une telle démonstration ne sera pas fournie et compte tenu du fait que démontrer la possibilité de l’héliocentrisme n’est pas encore démontrer sa réalité, il ne convient pas d’abandonner l’interprétation traditionnelle des saintes Écritures (nous paraphrasons).
Comme on l’aura compris, la valeur de cet ouvrage, qui relève davantage d’un essai que d’un véritable travail académique, réside surtout dans le précieux témoignage qu’il nous livre : celui d’un homme qui, avec beaucoup d’honnêteté, aborde la question des « relations entre praticiens des sciences de la nature et pouvoirs religieux » (p. 17) et dont les difficultés ressenties permettent de prendre conscience de ce qui doit, encore et toujours, être mieux travaillé et davantage expliqué.
1 Copernic, N. (2015). De revolutionibus orbium cœlestium. Des révolutions des orbes célestes (édition critique, traduction et notes par M.-P. Lerner, A.-Ph. Segonds et J.-P. Verdet). (Science et humanisme ; 11). Paris : Société d’édition « Les Belles Lettres ». Ici, vol. 2, p. 9.
3 Cf. Rheticus, G. J. (1984). G. J. Rheticus’ Treatise on holy scripture and the motion of the earth (with translation, annotations, commentary and additional chapters on Ramus‐Rheticus and the development of the problem before 1650 by R. Hooykaas). (Verhandelingen der Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, Afd. Letterkunde, Nieuwe reeks ; Deel 124). Amsterdam ; Oxford ; New York : North‐Holland Publishing Company.
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