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Christopher M. Graney
Setting aside all authority
Giovanni Battista Riccioli and the science against Copernicus in the age of Galileo
Graney (Christopher M.), Setting aside all authority : Giovanni Battista Riccioli and the science against Copernicus in the age of Galileo / including the first English translation of Monsignor Francesco Ingoli’s essay to Galileo disputing the Copernican system, and the first English translation of Riccioli’s reports regarding his experiments with falling bodies and with the effect of air resistance on falling bodies. – Notre Dame : University of Notre Dame Press, 2015. – xv, 270 p.
« L’histoire est écrite par les vainqueurs » constatait avec justesse l’écrivain français Robert Brasillach (1909−1945). Ce faisant, elle est non seulement unilatérale, puisqu’elle se focalise sur le point de vue du « vainqueur » au détriment de celui du « vaincu », mais elle s’interdit même de comprendre véritablement celui que pourtant elle privilégie, puisqu’elle néglige de prendre en compte, avec suffisamment d’attention, ce qu’il s’attachait à combattre, à savoir les arguments de cet adversaire qui, bien souvent, n’était pas encore pour lui ce « vaincu » qu’il est dorénavant devenu pour nous. Pire encore, une telle histoire verse assez facilement dans un manichéisme simpliste : d’un côté, les « bons », c’est-à-dire ceux qui ont fait le juste choix — entendez, celui qui est encore de mise dans le savoir actuel, lequel se trouve dès lors érigé en norme universelle — ; de l’autre, les « mauvais », en l’occurrence ceux qui, quel que soit la force et/ou l’envergure de leur pensée et de leurs recherches, ont pour point commun d’avoir opté pour le mauvais parti et qui, par ce seul fait, se retrouvent aujourd’hui relégués dans les notes de bas de page de l’histoire. Dans le cadre du conflit des XVIe et XVIIe siècles sur le véritable système du monde, ce manichéisme rétrospectif conduit trop souvent, d’une part, à délaisser la troisième solution alors disponible — celle du système géohéliocentrique (ou tychonien) — pour en rester à une confrontation simpliste entre géocentrisme et héliocentrisme et, d’autre part, à identifier les géocentristes avec ces esprits incapables de recourir à d’autres sources que la superstition, la Bible et les décrets de Rome, alors que les héliocentristes, eux, sont assimilés à ces hommes qui ont su s’arracher au préjugé anthropocentrique pour se ranger du côté de la Raison. Autrement dit, un géocentrisme soutenu par l’autorité, la tradition et la religion contre un héliocentrisme supporté par le télescope, la raison et la science (p. 142). Pour corriger cette histoire trop unilatérale, il est très heureux que soient également étudiés, avec autant de sérieux que les « vainqueurs », ceux que Clio a rangés dans la catégorie des « vaincus ».
Dans le cadre de la présente thématique, le choix du jésuite et astronome italien Giovanni Battista Riccioli (1598−1671), partisan du géohéliocentrisme, est particulièrement opportun. Celui‐ci est principalement connu en raison de l’impressionnante liste de 126 arguments pro et contra Copernic qu’il a dressée et intelligemment commentée dans son Almagestum novum (1651). Constatant que Riccioli n’accorde pas la même valeur aux arguments de différentes natures qui y sont soigneusement rassemblés — quelques‐uns sont tout simplement stupides ; un plus grand nombre est dû à l’ignorance ; la plupart sont raisonnables, mais pas décisifs ; enfin, une poignée d’entre eux (tous anticoperniciens et tous issus de Tycho Brahé !) sont véritablement décisifs —, l’A. s’attache à étudier en profondeur les deux arguments anticoperniciens que le célèbre jésuite a trouvé les plus forts, à savoir celui de la trajectoire des corps projetés ou en chute libre (chap. 8) et, surtout, celui de la grandeur des étoiles. Schématiquement, le problème soulevé par ce dernier est le suivant : comme les Coperniciens n’ont pas réussi à mettre en évidence le phénomène de parallaxe stellaire qui devrait résulter du mouvement annuel de la Terre, ils ont été contraints non seulement de rejeter les étoiles à une distance immense du centre du monde, mais également de leur attribuer une taille à ce point importante qu’elle en devient totalement impensable (dans le système copernicien, le diamètre d’une petite étoile s’avère du même ordre de grandeur que la dimension, dans le système tychonien, de l’univers dans son ensemble !). Face à ce qui passait pour une absurdité manifeste, les Coperniciens n’ont eu d’autre choix que d’invoquer la toute‐puissance de Dieu, apportant ainsi une réponse théologique à ce qui était une objection scientifique. Comme cet argument « très robuste » a été énoncé par Tycho Brahé (chap. 3) avant l’introduction de la lunette astronomique (chap. 4), l’A. retrace son histoire en passant par J. G. Locher, Fr. Ingoli et Ph. Lansbergen (chap. 5), avant d’examiner sa place au sein des 126 arguments évoqués (chap. 7) et sa mise à jour par Riccioli lui‐même (chap. 9), non sans avoir auparavant souligné, par l’examen de ses expériences sur la chute des corps, que le savant jésuite était un expérimentateur honnête et un homme de science accompli (chap. 6).
Au terme de son ouvrage, l’A. nous semble pouvoir revendiquer deux résultats : 1°) il a réhabilité Riccioli en nous faisant prendre conscience que si nous nous étions retrouvés dans la même situation intellectuelle que lui, nous aurions objectivement et rationnellement jugé, comme il l’a fait, que l’héliocentrisme constitue assurément un progrès important par rapport au géocentrisme, mais qu’il n’est cependant pas en mesure de l’emporter face au géohéliocentrisme ; 2°) il a manifesté l’essentielle complexité, réfractaire à tout manichéisme, de l’histoire de la pensée scientifique (et donc de la démarche scientifique) en substituant à la présentation classique — celle d’un combat de la science, strictement rangée du côté de l’héliocentrisme, mené contre la religion, exclusivement positionnée du côté du géocentrisme — une autre qui l’est beaucoup moins : celle (pour le conflit cosmologique) d’un débat où la science a certes soutenu l’héliocentrisme contre le géocentrisme, mais également le géohéliocentrisme contre l’héliocentrisme et où la religion a été utilisée au profit du géocentrisme aussi bien que l’héliocentrisme, mais non en faveur du géohéliocentrisme, ou bien celle (pour la révolution scientifique) d’un conflit où la science, en tant qu’acteur principal, s’est trouvée répartie dans les deux camps en présence, à l’instar de la religion qui, à titre d’acteur secondaire, a été tout aussi bien instrumentalisée par les uns que par les autres (p. 145).
Dans sa volonté de montrer que l’appartenance de Riccioli au groupe des « vaincus » n’a pas empêché celui‐ci d’être un homme de science respectable, l’A. insiste sur les arguments scientifiques avancés par les anticoperniciens et, corrélativement, néglige ceux qui le sont moins, voire pas du tout — en l’occurrence les arguments bibliques, théologiques ou de convenance — en arguant qu’ils sont peu nombreux et qu’ils ont été jugés peu pertinents par ceux‐là mêmes qui les ont produits ou du moins rapportés. Si ce choix — que ne semble pas partager Ed. Grant1 — est parfaitement légitime et plus ou moins explicitement annoncé dès le sous‐titre de l’ouvrage (« Riccioli and the science against Copernicus »), il nous semble rester tributaire de cette histoire des « vainqueurs » que l’A. dénonce par ailleurs. En effet, même chez les « vaincus », ce sont uniquement les arguments scientifiques — donc ceux des « vainqueurs » ! — qui sont jugés dignes d’intérêt. Afin de remédier encore davantage au point de vue unilatéral de l’histoire dominante, nous voudrions donc inviter l’A. à écrire un second ouvrage qui, cette fois, ne chercherait plus à réhabiliter Riccioli, mais qui profiterait de la liste établie par celui‐ci pour donner la parole à toutes les objections et réponses avancées par les deux camps en présence, aussi et surtout celles que l’histoire des « vainqueurs » délaisse comme étant non scientifiques. Un tel ouvrage — qui étudierait de tels arguments avec d’autant plus de soin qu’ils nous sont devenus totalement étrangers et qui manifesterait qu’ils se retrouvent (comme le recours à la religion) aussi bien dans un camp que dans l’autre — nous ferait profiter des joies du dépaysement et romprait sans doute encore davantage avec les canons de l’histoire des « vainqueurs ».
Enrichi d’appendices plus érudits, richement et utilement illustré, d’une présentation soignée, ne s’écartant jamais de sa thématique, manifestant le talent de vulgarisateur de son auteur et sa connaissance intime de l’astronomie, cet ouvrage est tout à fait digne d’intérêt.
1 En faisant référence aux arguments mettant en avant la plus grande noblesse de la Terre et la plus grande dignité du centre de l’univers, Grant, par exemple, attribue un rôle décisif à Riccioli dans l’attribution d’une perfection plus grande à la Terre, en ce qu’elle abrite la vie, qu’au Soleil (cf. Ed. Grant, Planets, stars, and orbs : The medieval cosmos (1200−1687), [Cambridge] : Cambridge University Press, 1996, pp. 239 – 243).
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