Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de Chr. M. Gra­ney, « Set­ting aside all autho­ri­ty : Gio­van­ni Bat­tis­ta Ric­cio­li and the science against Coper­ni­cus in the age of Gali­leo », in Revue d’histoire ecclé­sias­tique, vol. 112, 2017, n°3 – 4, pp. 943 – 946. 

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Christopher M. Graney

Setting aside all authority

Giovanni Battista Riccioli and the science against Copernicus in the age of Galileo

Gra­ney (Chris­to­pher M.), Set­ting aside all autho­ri­ty : Gio­van­ni Bat­tis­ta Ric­cio­li and the science against Coper­ni­cus in the age of Gali­leo / inclu­ding the first English trans­la­tion of Mon­si­gnor Fran­ces­co Ingoli’s essay to Gali­leo dis­pu­ting the Coper­ni­can sys­tem, and the first English trans­la­tion of Riccioli’s reports regar­ding his expe­ri­ments with fal­ling bodies and with the effect of air resis­tance on fal­ling bodies. – Notre Dame : Uni­ver­si­ty of Notre Dame Press, 2015. – xv, 270 p.

« L’histoire est écrite par les vain­queurs » consta­tait avec jus­tesse l’écrivain fran­çais Robert Bra­sillach (1909−1945). Ce fai­sant, elle est non seule­ment uni­la­té­rale, puisqu’elle se foca­lise sur le point de vue du « vain­queur » au détri­ment de celui du « vain­cu », mais elle s’interdit même de com­prendre véri­ta­ble­ment celui que pour­tant elle pri­vi­lé­gie, puisqu’elle néglige de prendre en compte, avec suf­fi­sam­ment d’attention, ce qu’il s’attachait à com­battre, à savoir les argu­ments de cet adver­saire qui, bien sou­vent, n’était pas encore pour lui ce « vain­cu » qu’il est doré­na­vant deve­nu pour nous. Pire encore, une telle his­toire verse assez faci­le­ment dans un mani­chéisme sim­pliste : d’un côté, les « bons », c’est-à-dire ceux qui ont fait le juste choix — enten­dez, celui qui est encore de mise dans le savoir actuel, lequel se trouve dès lors éri­gé en norme uni­ver­selle — ; de l’autre, les « mau­vais », en l’occurrence ceux qui, quel que soit la force et/ou l’envergure de leur pen­sée et de leurs recherches, ont pour point com­mun d’avoir opté pour le mau­vais par­ti et qui, par ce seul fait, se retrouvent aujourd’hui relé­gués dans les notes de bas de page de l’histoire. Dans le cadre du conflit des XVIe et XVIIe siècles sur le véri­table sys­tème du monde, ce mani­chéisme rétros­pec­tif conduit trop sou­vent, d’une part, à délais­ser la troi­sième solu­tion alors dis­po­nible — celle du sys­tème géo­hé­lio­cen­trique (ou tycho­nien) — pour en res­ter à une confron­ta­tion sim­pliste entre géo­cen­trisme et hélio­cen­trisme et, d’autre part, à iden­ti­fier les géo­cen­tristes avec ces esprits inca­pables de recou­rir à d’autres sources que la super­sti­tion, la Bible et les décrets de Rome, alors que les hélio­cen­tristes, eux, sont assi­mi­lés à ces hommes qui ont su s’arracher au pré­ju­gé anthro­po­cen­trique pour se ran­ger du côté de la Rai­son. Autre­ment dit, un géo­cen­trisme sou­te­nu par l’autorité, la tra­di­tion et la reli­gion contre un hélio­cen­trisme sup­por­té par le téles­cope, la rai­son et la science (p. 142). Pour cor­ri­ger cette his­toire trop uni­la­té­rale, il est très heu­reux que soient éga­le­ment étu­diés, avec autant de sérieux que les « vain­queurs », ceux que Clio a ran­gés dans la caté­go­rie des « vaincus ».

Dans le cadre de la pré­sente thé­ma­tique, le choix du jésuite et astro­nome ita­lien Gio­van­ni Bat­tis­ta Ric­cio­li (1598−1671), par­ti­san du géo­hé­lio­cen­trisme, est par­ti­cu­liè­re­ment oppor­tun. Celui‐ci est prin­ci­pa­le­ment connu en rai­son de l’impressionnante liste de 126 argu­ments pro et contra Coper­nic qu’il a dres­sée et intel­li­gem­ment com­men­tée dans son Alma­ges­tum novum (1651). Consta­tant que Ric­cio­li n’accorde pas la même valeur aux argu­ments de dif­fé­rentes natures qui y sont soi­gneu­se­ment ras­sem­blés — quelques‐uns sont tout sim­ple­ment stu­pides ; un plus grand nombre est dû à l’ignorance ; la plu­part sont rai­son­nables, mais pas déci­sifs ; enfin, une poi­gnée d’entre eux (tous anti­co­per­ni­ciens et tous issus de Tycho Bra­hé !) sont véri­ta­ble­ment déci­sifs —, l’A. s’attache à étu­dier en pro­fon­deur les deux argu­ments anti­co­per­ni­ciens que le célèbre jésuite a trou­vé les plus forts, à savoir celui de la tra­jec­toire des corps pro­je­tés ou en chute libre (chap. 8) et, sur­tout, celui de la gran­deur des étoiles. Sché­ma­ti­que­ment, le pro­blème sou­le­vé par ce der­nier est le sui­vant : comme les Coper­ni­ciens n’ont pas réus­si à mettre en évi­dence le phé­no­mène de paral­laxe stel­laire qui devrait résul­ter du mou­ve­ment annuel de la Terre, ils ont été contraints non seule­ment de reje­ter les étoiles à une dis­tance immense du centre du monde, mais éga­le­ment de leur attri­buer une taille à ce point impor­tante qu’elle en devient tota­le­ment impen­sable (dans le sys­tème coper­ni­cien, le dia­mètre d’une petite étoile s’avère du même ordre de gran­deur que la dimen­sion, dans le sys­tème tycho­nien, de l’univers dans son ensemble !). Face à ce qui pas­sait pour une absur­di­té mani­feste, les Coper­ni­ciens n’ont eu d’autre choix que d’invoquer la toute‐puissance de Dieu, appor­tant ain­si une réponse théo­lo­gique à ce qui était une objec­tion scien­ti­fique. Comme cet argu­ment « très robuste » a été énon­cé par Tycho Bra­hé (chap. 3) avant l’introduction de la lunette astro­no­mique (chap. 4), l’A. retrace son his­toire en pas­sant par J. G. Locher, Fr. Ingo­li et Ph. Lans­ber­gen (chap. 5), avant d’examiner sa place au sein des 126 argu­ments évo­qués (chap. 7) et sa mise à jour par Ric­cio­li lui‐même (chap. 9), non sans avoir aupa­ra­vant sou­li­gné, par l’examen de ses expé­riences sur la chute des corps, que le savant jésuite était un expé­ri­men­ta­teur hon­nête et un homme de science accom­pli (chap. 6).

Au terme de son ouvrage, l’A. nous semble pou­voir reven­di­quer deux résul­tats : 1°) il a réha­bi­li­té Ric­cio­li en nous fai­sant prendre conscience que si nous nous étions retrou­vés dans la même situa­tion intel­lec­tuelle que lui, nous aurions objec­ti­ve­ment et ration­nel­le­ment jugé, comme il l’a fait, que l’héliocentrisme consti­tue assu­ré­ment un pro­grès impor­tant par rap­port au géo­cen­trisme, mais qu’il n’est cepen­dant pas en mesure de l’emporter face au géo­hé­lio­cen­trisme ; 2°) il a mani­fes­té l’essentielle com­plexi­té, réfrac­taire à tout mani­chéisme, de l’histoire de la pen­sée scien­ti­fique (et donc de la démarche scien­ti­fique) en sub­sti­tuant à la pré­sen­ta­tion clas­sique — celle d’un com­bat de la science, stric­te­ment ran­gée du côté de l’héliocentrisme, mené contre la reli­gion, exclu­si­ve­ment posi­tion­née du côté du géo­cen­trisme — une autre qui l’est beau­coup moins : celle (pour le conflit cos­mo­lo­gique) d’un débat où la science a certes sou­te­nu l’héliocentrisme contre le géo­cen­trisme, mais éga­le­ment le géo­hé­lio­cen­trisme contre l’héliocentrisme et où la reli­gion a été uti­li­sée au pro­fit du géo­cen­trisme aus­si bien que l’héliocentrisme, mais non en faveur du géo­hé­lio­cen­trisme, ou bien celle (pour la révo­lu­tion scien­ti­fique) d’un conflit où la science, en tant qu’acteur prin­ci­pal, s’est trou­vée répar­tie dans les deux camps en pré­sence, à l’instar de la reli­gion qui, à titre d’acteur secon­daire, a été tout aus­si bien ins­tru­men­ta­li­sée par les uns que par les autres (p. 145).

Dans sa volon­té de mon­trer que l’appartenance de Ric­cio­li au groupe des « vain­cus » n’a pas empê­ché celui‐ci d’être un homme de science res­pec­table, l’A. insiste sur les argu­ments scien­ti­fiques avan­cés par les anti­co­per­ni­ciens et, cor­ré­la­ti­ve­ment, néglige ceux qui le sont moins, voire pas du tout — en l’occurrence les argu­ments bibliques, théo­lo­giques ou de conve­nance — en arguant qu’ils sont peu nom­breux et qu’ils ont été jugés peu per­ti­nents par ceux‐là mêmes qui les ont pro­duits ou du moins rap­por­tés. Si ce choix — que ne semble pas par­ta­ger Ed. Grant1 — est par­fai­te­ment légi­time et plus ou moins expli­ci­te­ment annon­cé dès le sous‐titre de l’ouvrage (« Ric­cio­li and the science against Coper­ni­cus »), il nous semble res­ter tri­bu­taire de cette his­toire des « vain­queurs » que l’A. dénonce par ailleurs. En effet, même chez les « vain­cus », ce sont uni­que­ment les argu­ments scien­ti­fiques — donc ceux des « vain­queurs » ! — qui sont jugés dignes d’intérêt. Afin de remé­dier encore davan­tage au point de vue uni­la­té­ral de l’histoire domi­nante, nous vou­drions donc invi­ter l’A. à écrire un second ouvrage qui, cette fois, ne cher­che­rait plus à réha­bi­li­ter Ric­cio­li, mais qui pro­fi­te­rait de la liste éta­blie par celui‐ci pour don­ner la parole à toutes les objec­tions et réponses avan­cées par les deux camps en pré­sence, aus­si et sur­tout celles que l’histoire des « vain­queurs » délaisse comme étant non scien­ti­fiques. Un tel ouvrage — qui étu­die­rait de tels argu­ments avec d’autant plus de soin qu’ils nous sont deve­nus tota­le­ment étran­gers et qui mani­fes­te­rait qu’ils se retrouvent (comme le recours à la reli­gion) aus­si bien dans un camp que dans l’autre — nous ferait pro­fi­ter des joies du dépay­se­ment et rom­prait sans doute encore davan­tage avec les canons de l’histoire des « vainqueurs ».

Enri­chi d’appendices plus éru­dits, riche­ment et uti­le­ment illus­tré, d’une pré­sen­ta­tion soi­gnée, ne s’écartant jamais de sa thé­ma­tique, mani­fes­tant le talent de vul­ga­ri­sa­teur de son auteur et sa connais­sance intime de l’astronomie, cet ouvrage est tout à fait digne d’intérêt.

1 En fai­sant réfé­rence aux argu­ments met­tant en avant la plus grande noblesse de la Terre et la plus grande digni­té du centre de l’univers, Grant, par exemple, attri­bue un rôle déci­sif à Ric­cio­li dans l’attribution d’une per­fec­tion plus grande à la Terre, en ce qu’elle abrite la vie, qu’au Soleil (cf. Ed. Grant, Pla­nets, stars, and orbs : The medie­val cos­mos (1200−1687), [Cam­bridge] : Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, 1996, pp. 239 – 243).