Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de Chr. Rio­pelle, A. Szc­zers­ki & O. Gin­ge­rich, « Conver­sa­tions with God : Jan Matejko’s Coper­ni­cus », in Revue des Ques­tions Scien­ti­fiques, vol. 192, 2021, n°3 – 4, pp. 450 – 452. 

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Christopher Riopelle – Andrzej Szczerski – Owen Gingerich

Conversations with God

Jan Matejko’s Copernicus

Rio­pelle (Chris­to­pher) – Szc­zers­ki (Andr­zej) – Gin­ge­rich (Owen), Conver­sa­tions with God : Jan Matejko’s Coper­ni­cus. – Lon­don : Natio­nal Gal­le­ry Com­pa­ny (dis­tri­bu­ted by Yale Uni­ver­si­ty Press), 2021. – 64 p. – 1 vol. bro­ché de 23 × 27 cm. – $16.99. – isbn 978−1−85709−669−9.

Juché au som­met de la tour de From­bork ; ayant der­rière lui la cathé­drale, bien recon­nais­sable, dont il est l’un des cha­noines ; accom­pa­gné de divers livres et ins­tru­ments astro­no­miques attes­tant qu’il était, il y a un ins­tant encore, au tra­vail ; tenant d’ailleurs un com­pas à la main — les auteurs oublient de signa­ler ce détail qui n’en est pas un1 ! —, celui qui a déjà éla­bo­ré son sys­tème hélio­cen­trique, comme en témoigne le dia­gramme fidè­le­ment repro­duit tel qu’il figure dans le De Revo­lu­tio­ni­bus, est repré­sen­té, à genoux, en com­mu­ni­ca­tion exta­tique avec la divi­ni­té, soit qu’il Lui offre, avec confiance, la décou­verte scien­ti­fique qu’il vient de faire (Rio­pelle), soit qu’il Lui exprime sa gra­ti­tude (Szc­zers­ki).

Telle est la scène, bien sûr ima­gi­naire, par laquelle un Polo­nais, en l’occurrence le peintre Jan Matej­ko (1838−1893), rend hom­mage, en 1873, à celui qu’il reven­dique être un com­pa­triote, à savoir Nico­las Coper­nic (1473−1543), à l’occasion de la com­mé­mo­ra­tion du 400e anni­ver­saire de sa nais­sance. Conser­vée à l’Université Jagel­lon de Cra­co­vie, cette toile, inti­tu­lée Conver­sa­tions avec Dieu, a été excep­tion­nel­le­ment expo­sée en 2021 à la Natio­nal Gal­le­ry, ce qui nous vaut ce char­mant petit cata­logue d’exposition. Celui‐ci paraît contre­dire le juge­ment anté­rieur d’un docu­men­taire de BBC Four selon lequel cette pein­ture ne méri­tait pas le moindre intérêt.

Après une courte intro­duc­tion, dépour­vue de toute pré­ten­tion, à Coper­nic et à son astro­no­mie due au grand Owen Gin­ge­rich2, dont le titre (Nico­laus Coper­ni­cus : the man who inven­ted the solar sys­tem) peut conduire à un ana­chro­nisme et qui se ter­mine, assez abrup­te­ment, par une ques­tion (« À quoi res­sem­blait Coper­nic ? ») dont la réponse n’est pas sans inté­rêt pour l’analyse de la toile, ce cata­logue se pour­suit par l’article, beau­coup plus étof­fé et réflé­chi, de Chris­to­pher Rio­pelle. Pre­nant pour point de départ Nietzsche — au risque de mal­heu­reu­se­ment ren­for­cer l’interprétation tra­di­tion­nelle de la révo­lu­tion coper­ni­cienne que ce der­nier a par­ti­cu­liè­re­ment bien incar­née —, Rio­pelle fait res­sor­tir la signi­fi­ca­tion, essen­tiel­le­ment poli­tique, de cette œuvre : à une époque où les Polo­nais viennent de perdre l’indépendance de leur pays désor­mais par­ta­gé entre la Prusse, la Rus­sie et l’Autriche et où la figure de Coper­nic est l’enjeu de conflits natio­na­listes véhé­ments, Matej­ko, le plus illustre repré­sen­tant polo­nais de la pein­ture d’histoire, prend posi­tion : en rap­pe­lant non seule­ment l’endroit où Coper­nic fit sa décou­verte, mais aus­si et sur­tout (comme en témoigne suf­fi­sam­ment le titre) la foi catho­lique qui était la sienne, il reven­dique la polo­ni­té du célé­bris­sime astro­nome. Digne fils de la très catho­lique Pologne, celui‐ci n’a jamais per­çu la moindre oppo­si­tion entre sa science et sa foi. Le troi­sième article, celui d’Andrzej Szc­zers­ki, com­plète heu­reu­se­ment le pro­pos du précédent.

Ceux qui ont déjà croi­sé cette pein­ture sans bien la com­prendre ain­si que ceux qui viennent de la décou­vrir à l’occasion de cette expo­si­tion pour­ront doré­na­vant cer­ner, grâce à ce petit cata­logue, le mes­sage prin­ci­pa­le­ment natio­na­liste qui est le sien. 

1 Thème de l’iconographie chré­tienne — pré­sent dans les Bibles mora­li­sées médié­vales (par ex. le codex 2554 et, bien plus émou­vant, le codex 1179 [Vienne, Öster­rei­chische Natio­nal­bi­blio­thek]) aus­si bien, par ex., que chez Jean Fou­quet (Dieu pré­sente Ève à Adam, v. 1475) — ayant été repris par l’iconographie païenne — outre Dürer, son­geons plus par­ti­cu­liè­re­ment à God as an Archi­tect (1794) et à l’Isaac New­ton (1795) de William Blake —, le com­pas signale, confor­mé­ment à Sg XI, 20, que c’est en véri­table archi­tecte ration­nel que Dieu a consciem­ment et par­fai­te­ment créé le monde avec ordre et mesure. Tou­te­fois, à la dif­fé­rence du com­pas du Créa­teur — que ce soit celui de la tra­di­tion chré­tienne ou de Blake — qui est natu­rel­le­ment diri­gé vers le monde lui‐même, celui de New­ton et de Coper­nic est, plus modes­te­ment, tour­né vers les livres qui se contentent de le décrire. En accord avec la plus grande cohé­rence ins­tau­rée (ou, mieux, recon­nue) par Coper­nic au sein du monde créé et confor­mé­ment à la volon­té de Matej­ko d’insister sur la foi de l’astronome, ne pourrait‐on pas voir, dans ce détail, la trace d’une conni­vence toute par­ti­cu­lière entre Celui qui fait et celui qui révèle ? Ou, pour ten­ter de le dire plus savam­ment, entre Celui qui crée véri­ta­ble­ment et celui qui, en ren­dant enfin visible par la science la véri­table forme du monde, opère, confor­mé­ment à sa res­sem­blance avec Dieu, une seconde créa­tion ? Comme me l’a fait remar­quer M. Rio­pelle à la suite de cette obser­va­tion, on note­ra éga­le­ment le tor­que­tum, pla­cé juste au‐dessus du com­pas, qui semble émer­ger de la direc­tion dans laquelle regarde Coper­nic et qui pour­rait venir ren­for­cer la réa­li­té de l’existence de cette conni­vence. Sur le sym­bole du com­pas dans l’art chré­tien, outre le monu­men­tal Dieu et ses images : une his­toire de l’Éternel dans l’art (Bruxelles : Édi­tions Luc Pire, 2008), cf. plus spé­ci­fi­que­ment Fran­çois Bœsp­flug, Dieu au com­pas : his­toire d’un motif et de ses usages (Paris : Les Édi­tions du Cerf, 2017).

2 Rap­pe­lons qu’il a déjà été ques­tion de ce der­nier au sein de cette rubrique de la Revue : cf. notre compte ren­du de son Livre que nul n’avait lu : à la pour­suite du « De Revo­lu­tio­ni­bus » de Coper­nic (vol. 181, 2010, n°1, pp. 117 – 118).