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Christopher Riopelle – Andrzej Szczerski – Owen Gingerich
Conversations with God
Jan Matejko’s Copernicus
Riopelle (Christopher) – Szczerski (Andrzej) – Gingerich (Owen), Conversations with God : Jan Matejko’s Copernicus. – London : National Gallery Company (distributed by Yale University Press), 2021. – 64 p. – 1 vol. broché de 23 × 27 cm. – $16.99. – isbn 978−1−85709−669−9.
Telle est la scène, bien sûr imaginaire, par laquelle un Polonais, en l’occurrence le peintre Jan Matejko (1838−1893), rend hommage, en 1873, à celui qu’il revendique être un compatriote, à savoir Nicolas Copernic (1473−1543), à l’occasion de la commémoration du 400e anniversaire de sa naissance. Conservée à l’Université Jagellon de Cracovie, cette toile, intitulée Conversations avec Dieu, a été exceptionnellement exposée en 2021 à la National Gallery, ce qui nous vaut ce charmant petit catalogue d’exposition. Celui‐ci paraît contredire le jugement antérieur d’un documentaire de BBC Four selon lequel cette peinture ne méritait pas le moindre intérêt.
Après une courte introduction, dépourvue de toute prétention, à Copernic et à son astronomie due au grand Owen Gingerich2, dont le titre (Nicolaus Copernicus : the man who invented the solar system) peut conduire à un anachronisme et qui se termine, assez abruptement, par une question (« À quoi ressemblait Copernic ? ») dont la réponse n’est pas sans intérêt pour l’analyse de la toile, ce catalogue se poursuit par l’article, beaucoup plus étoffé et réfléchi, de Christopher Riopelle. Prenant pour point de départ Nietzsche — au risque de malheureusement renforcer l’interprétation traditionnelle de la révolution copernicienne que ce dernier a particulièrement bien incarnée —, Riopelle fait ressortir la signification, essentiellement politique, de cette œuvre : à une époque où les Polonais viennent de perdre l’indépendance de leur pays désormais partagé entre la Prusse, la Russie et l’Autriche et où la figure de Copernic est l’enjeu de conflits nationalistes véhéments, Matejko, le plus illustre représentant polonais de la peinture d’histoire, prend position : en rappelant non seulement l’endroit où Copernic fit sa découverte, mais aussi et surtout (comme en témoigne suffisamment le titre) la foi catholique qui était la sienne, il revendique la polonité du célébrissime astronome. Digne fils de la très catholique Pologne, celui‐ci n’a jamais perçu la moindre opposition entre sa science et sa foi. Le troisième article, celui d’Andrzej Szczerski, complète heureusement le propos du précédent.
Ceux qui ont déjà croisé cette peinture sans bien la comprendre ainsi que ceux qui viennent de la découvrir à l’occasion de cette exposition pourront dorénavant cerner, grâce à ce petit catalogue, le message principalement nationaliste qui est le sien.
1 Thème de l’iconographie chrétienne — présent dans les Bibles moralisées médiévales (par ex. le codex 2554 et, bien plus émouvant, le codex 1179 [Vienne, Österreichische Nationalbibliothek]) aussi bien, par ex., que chez Jean Fouquet (Dieu présente Ève à Adam, v. 1475) — ayant été repris par l’iconographie païenne — outre Dürer, songeons plus particulièrement à God as an Architect (1794) et à l’Isaac Newton (1795) de William Blake —, le compas signale, conformément à Sg XI, 20, que c’est en véritable architecte rationnel que Dieu a consciemment et parfaitement créé le monde avec ordre et mesure. Toutefois, à la différence du compas du Créateur — que ce soit celui de la tradition chrétienne ou de Blake — qui est naturellement dirigé vers le monde lui‐même, celui de Newton et de Copernic est, plus modestement, tourné vers les livres qui se contentent de le décrire. En accord avec la plus grande cohérence instaurée (ou, mieux, reconnue) par Copernic au sein du monde créé et conformément à la volonté de Matejko d’insister sur la foi de l’astronome, ne pourrait‐on pas voir, dans ce détail, la trace d’une connivence toute particulière entre Celui qui fait et celui qui révèle ? Ou, pour tenter de le dire plus savamment, entre Celui qui crée véritablement et celui qui, en rendant enfin visible par la science la véritable forme du monde, opère, conformément à sa ressemblance avec Dieu, une seconde création ? Comme me l’a fait remarquer M. Riopelle à la suite de cette observation, on notera également le torquetum, placé juste au‐dessus du compas, qui semble émerger de la direction dans laquelle regarde Copernic et qui pourrait venir renforcer la réalité de l’existence de cette connivence. Sur le symbole du compas dans l’art chrétien, outre le monumental Dieu et ses images : une histoire de l’Éternel dans l’art (Bruxelles : Éditions Luc Pire, 2008), cf. plus spécifiquement François Bœspflug, Dieu au compas : histoire d’un motif et de ses usages (Paris : Les Éditions du Cerf, 2017).
2 Rappelons qu’il a déjà été question de ce dernier au sein de cette rubrique de la Revue : cf. notre compte rendu de son Livre que nul n’avait lu : à la poursuite du « De Revolutionibus » de Copernic (vol. 181, 2010, n°1, pp. 117 – 118).
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