Livre analysé
Références
Stoffel (Jean‐François), Compte rendu de E. Castelli Gattinara, « Les inquiétudes de la raison : épistémologie et histoire en France dans l’entre-deux-guerres », in European review of history, vol. 8, 2001, n°2, pp. 247 – 248.
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Enrico Castelli Gattinara
Les inquiétudes de la raison
Épistémologie et histoire en France dans l’entre-deux-guerres
Castelli Gattinara (Enrico), Les inquiétudes de la raison : épistémologie et histoire en France dans l’entre-deux-guerres. – Paris : Librairie philosophique J. Vrin ; Paris : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1998. – 338 p. – (Contextes).
Face aux « inquiétudes de la raison » qui, au début du XXe siècle, se marquaient dans les domaines les plus divers, la pensée française, loin de vouloir renoncer au rationalisme qui la caractérise, a opéré, de manière presque inconsciente mais néanmoins spécifique, une ouverture à l’histoire qui, en retour, lui a permis de sauvegarder ce rationalisme, quitte à l’« assouplir » et à l’« ouvrir » précisément grâce à la prise de conscience de son historicité. Il s’est ainsi établi une double articulation entre histoire et épistémologie, même s’il faut bien reconnaître que cette rencontre, qui aurait pu être davantage médiatisée par l’histoire des sciences, est restée somme toute lacunaire. C’est donc à l’étude historique et philosophique de ces relations nouées entre épistémologie, histoire et histoire des sciences (pour faire front contre la crise de la raison) qu’est consacré ce livre.
Après avoir tracé le paysage de cette crise et fait entrevoir comment l’histoire pouvait y répondre, l’Auteur parcourt différents penseurs qui ont ressenti la nécessité de l’histoire tout en l’utilisant de manière purement instrumentale (L. Brunschvicg, É. Meyerson, A. Rey). Abordant le problème du déterminisme scientifique, il essaie de repérer, chez ces trois auteurs, une connexion entre leur position en la matière et leur prise de conscience de la nécessité de l’histoire, avant de tracer une « petite sociologie de la période et [des] débats des années 30 », pour enfin retrouver plus directement la question du déterminisme en histoire. Mais alors que les « philosophes épistémologues » précités s’étaient contentés d’utiliser l’histoire de manière instrumentale afin de dynamiser la raison, H. Berr fait de l’histoire l’axe principal de sa philosophie synthétique, tandis que les Annales d’histoire économique et sociale commencent à mettre les sciences au service de l’histoire, et non plus l’inverse. Quant aux historiens de profession, avec L. Febvre, ils opèrent le passage de l’« histoire‐science » à l’« histoire‐problème », en l’occurrence celui de la certitude au problème et de la confiance à l’inquiétude. Enfin, l’Auteur examine ce qu’il en est du côté des épistémologues (à savoir G. Bachelard — très (trop ?) présent tout au long du livre — et A. Koyré), pour, assez paradoxalement, retrouver H. Bergson à la fin de son parcours. On l’aura compris : cette monographie ne trace pas seulement l’histoire de l’historiographie française dans l’entre-deux-guerres, mais relisant cette histoire sous un angle bien spécifique (il s’agit bien de la publication d’une thèse dans toutes les acceptions du terme), elle opère un plaidoyer en faveur de l’histoire qui, seule, serait à même de préserver la raison de la sclérose, en la maintenant continuellement dans un dynamisme souple et accueillant.
Mais ce livre, qui regrette l’absence de rencontres entre épistémologues, historiens et historiens des sciences, réussira‐t‐il lui‐même à intéresser ces différents publics et donc à provoquer, ne fut‐ce que brièvement, leur rencontre autour de ce travail ? Il est permis d’en douter, car historiens et historiens des sciences le jugeront sans doute, à tort ou à raison, trop « philosophique ». Il reste donc à écrire un plaidoyer peut‐être spéculativement moins brillant, mais que l’on puisse davantage recommander aux lecteurs des trois professions concernées. Enfin, à l’heure des correcteurs orthographiques automatiques, nous regretterons amèrement les innombrables coquilles qui entachent ce livre publié, pourtant, par une très bonne maison d’édition.
Après avoir tracé le paysage de cette crise et fait entrevoir comment l’histoire pouvait y répondre, l’Auteur parcourt différents penseurs qui ont ressenti la nécessité de l’histoire tout en l’utilisant de manière purement instrumentale (L. Brunschvicg, É. Meyerson, A. Rey). Abordant le problème du déterminisme scientifique, il essaie de repérer, chez ces trois auteurs, une connexion entre leur position en la matière et leur prise de conscience de la nécessité de l’histoire, avant de tracer une « petite sociologie de la période et [des] débats des années 30 », pour enfin retrouver plus directement la question du déterminisme en histoire. Mais alors que les « philosophes épistémologues » précités s’étaient contentés d’utiliser l’histoire de manière instrumentale afin de dynamiser la raison, H. Berr fait de l’histoire l’axe principal de sa philosophie synthétique, tandis que les Annales d’histoire économique et sociale commencent à mettre les sciences au service de l’histoire, et non plus l’inverse. Quant aux historiens de profession, avec L. Febvre, ils opèrent le passage de l’« histoire‐science » à l’« histoire‐problème », en l’occurrence celui de la certitude au problème et de la confiance à l’inquiétude. Enfin, l’Auteur examine ce qu’il en est du côté des épistémologues (à savoir G. Bachelard — très (trop ?) présent tout au long du livre — et A. Koyré), pour, assez paradoxalement, retrouver H. Bergson à la fin de son parcours. On l’aura compris : cette monographie ne trace pas seulement l’histoire de l’historiographie française dans l’entre-deux-guerres, mais relisant cette histoire sous un angle bien spécifique (il s’agit bien de la publication d’une thèse dans toutes les acceptions du terme), elle opère un plaidoyer en faveur de l’histoire qui, seule, serait à même de préserver la raison de la sclérose, en la maintenant continuellement dans un dynamisme souple et accueillant.
Mais ce livre, qui regrette l’absence de rencontres entre épistémologues, historiens et historiens des sciences, réussira‐t‐il lui‐même à intéresser ces différents publics et donc à provoquer, ne fut‐ce que brièvement, leur rencontre autour de ce travail ? Il est permis d’en douter, car historiens et historiens des sciences le jugeront sans doute, à tort ou à raison, trop « philosophique ». Il reste donc à écrire un plaidoyer peut‐être spéculativement moins brillant, mais que l’on puisse davantage recommander aux lecteurs des trois professions concernées. Enfin, à l’heure des correcteurs orthographiques automatiques, nous regretterons amèrement les innombrables coquilles qui entachent ce livre publié, pourtant, par une très bonne maison d’édition.
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