Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de Ch. Grell & S. Taus­sig (édit.), « La Lune aux XVIIe et XVIIIe siècles », in Revue belge de phi­lo­lo­gie et d’histoire, vol. 92, 2014, n°2, pp. 819 – 820.

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Sous la direction de Chantal Grell

La Lune aux XVIIe et XVIIIe siècles

La Lune aux XVIIe et XVIIIe siècles / sous la direc­tion de Chan­tal Grell, avec la col­la­bo­ra­tion de Syl­vie Taus­sig. – Turn­hout : Bre­pols, 2013. – 266 p. – (De diver­sis arti­bus ; 89 : nouv. série ; 52).

Consta­tant l’absence de toute syn­thèse sur la Lune aux XVIIe et XVIIIe siècles, le pré­sent volume, issu d’un col­loque tenu en 2009 à l’occasion de l’année mon­diale de l’astro­nomie com­mé­mo­rant le 4e cen­te­naire des célèbres obser­va­tions gali­léennes, se pro­pose de re­médier à cette lacune. La contri­bu­tion ini­tiale de Chan­tal Grell (Pen­ser la Lune : ques­tions, hypo­thèses, théo­ries) tente de prendre du recul en retra­çant la situa­tion dont les savants d’alors héritent (la théo­rie et la phy­sique de la Lune) pour mieux appré­hen­der les débats et les recherches qui les ani­me­ront (le cal­cul des lon­gi­tudes et l’hypo­thèse d’une Lune habi­tée). Ten­ta­tive louable, assu­ré­ment, mais ter­nie par quel­ques impré­ci­sions et par de nom­breuses affir­ma­tions, du reste inté­res­santes, qui deman­de­raient à être réfé­ren­ciées, mais qui ne le sont pas. Moins qu’un article, la contri­bu­tion d’Emmanuel Bury (Doxogra­phie, astro­nomie : la Lune au prisme des sources anciennes) est l’énoncé d’une thèse avec l’indication d’un thème — la Lune — et de l’un ou l’autre auteur — Kepler et Gas­sen­di — qui pour­raient par­ti­cu­liè­re­ment bien l’illustrer : loin de s’opposer à la nou­velle science astro­nomique qui va pour­tant les relé­guer dans les musées déser­tés de l’histoire, les recueils des opi­nions des phi­lo­sophes anciens ont aidé à remettre en cause le para­digme aris­toté­licien alors domi­nant par le rap­pel de tous ces para­digmes alter­na­tifs qui avaient fleu­ri dans l’Antiquité, mais que la doxa en vogue a occul­té. La contri­bu­tion de Sven Dupré (Le téles­cope de Gali­lée, la Lune et la lumière céleste), elle, repré­sente un tra­vail tout à fait abou­ti : c’est d’ailleurs la tra­duc­tion fran­çaise d’un article paru dans le Jour­nal for the His­tory of Astro­no­my. Se deman­dant « com­ment est venue à Gali­lée l’idée de poser un dia­phragme sur les len­tilles con­vexes de ses téles­copes afin d’en aug­men­ter la perfor­mance », l’auteur, par un rai­son­ne­ment qui fait inter­ve­nir l’influence de Léo­nard de Vin­ci et une « volte‐face » gali­léenne quant à l’origine de la lumière des pla­nètes et des étoiles, éta­blit que c’est « le résul­tat de ses recherches sur la ques­tion de la lumière céleste entre­prises avant ses obser­va­tions téles­co­piques ». Dési­reux d’hono­rer la mé­moire de Fer­nand Hal­lyn, le volume se pour­suit par l’heureuse réédi­tion de son article de 1994 inti­tu­lé Le regard pic­tu­ral de Gali­lée sur la Lune. L’auteur y déve­lop­pait son hypo­thèse, déjà énon­cée dans son édi­tion du Mes­sa­ger des étoiles, rela­tive à l’influence de la culture artis­tique de la pers­pec­tive sur l’interprétation gali­léenne de ses obser­va­tions lunaires en terme de sur­face acci­den­tée et inégale. À la clar­té de l’exposé d’Hallyn suc­cède la contri­bu­tion de Fabien Cha­reix (La figure de la Lune dans les écrits gali­léens) qui n’a pas pour qua­li­té pre­mière de par­ta­ger cette carac­té­ris­tique ni d’offrir au lec­teur un texte par­ti­cu­liè­re­ment toi­letté ! Heu­reu­se­ment, le volume se pour­suit par la contri­bu­tion d’Isabelle Pan­tin (Le débat sur la sub­stance lunaire après le « Side­reus nun­cius »), qui ana­lyse, essen­tiel­le­ment chez Schei­ner, Ric­cio­li, La Gal­la et Fran­çois d’Aiguillon, la stra­té­gie et les argu­ments de la résis­tance péri­pa­té­ti­cienne visant à sau­ver la sphé­ri­ci­té et l’incorruptibilité lunaires, et par celle d’Anna Maria Lom­bar­di (Kepler e la Luna), qui mani­feste à quel point le « petit lumi­naire » a accom­pa­gné dans tout son par­cours per­son­nel et scien­ti­fique. Jarosław Włodarc­zyk, lui, étu­die la théo­rie des libra­tions lunaires d’Hevelius à tra­vers ses cartes, sa corres­pondance et ses tables (Heve­lius’ theo­ry of the lunar libra­tion). Sou­te­nant que la nou­veau­té des grandes décou­vertes mari­times de la Renais­sance a consti­tué un pré­cé­dent fécond pour pen­ser et pré­sen­ter les décou­vertes de la nou­velle astro­no­mie, Fré­dé­rique Aït‐Touati (La Lune, un nou­veau monde) nous offre un expo­sé riche et sug­ges­tif qui contraste, nous semble‐t‐il, avec la maigre base tex­tuelle des­ti­née à l’appuyer expli­ci­te­ment (Kepler, bien sûr, et une cita­tion de Ber­nier). Spé­cia­liste de Gas­sen­di, Syl­vie Taus­sig (La Lune est‐elle habi­tée ?) a fait le choix, tout à fait heu­reux, de com­men­ter le cha­pitre du Syn­tag­ma phi­lo­so­phi­cum exa­mi­nant « si le ciel et les astres sont habi­tables ». On y voit le phi­lo­sophe de Digne prendre une posi­tion très ori­gi­nale et très forte en jugeant vrai­sem­blable l’habi­tabilité de la Lune comme une consé­quence de son assi­mi­la­tion à la Terre, tout en préser­vant l’unicité et la digni­té chré­tiennes de l’homme. Ana­ly­sant le résu­mé don­né par Fonte­nelle, dans l’His­toire de l’Académie, de deux mémoires consa­crés à la Lune, Maria Susa­na Seguin (Le sta­tut dis­cur­sif de la Lune entre fic­tions et mathé­ma­tiques) montre le jeu de réécri­ture, qui n’est pas que péda­go­gique, auquel celui‐ci se livre en adop­tant une dé­marche démons­tra­tive dif­fé­rente de celle de leurs auteurs, en l’occurrence l’introduction de la moda­li­té nar­ra­tive et en par­ti­cu­lier d’épisodes fic­tion­nels en lieu et place du cal­cul mathé­ma­tique ou des dia­grammes géo­mé­triques. Signa­lons enfin l’étude Du pro­blème des deux corps à la gra­vi­ta­tion uni­ver­selle dans les « Prin­ci­pia » de New­ton due à la plume aver­tie de Michel Blay et l’examen, par Jean‐Pierre Clé­ro (La Lune dans le « Trai­té de méca­nique céleste de Laplace), d’un cer­tain nombre de thèmes épis­té­mo­lo­giques qui tra­versent tout le Trai­té, mais qui se réunissent par­ti­cu­liè­re­ment bien dans les cha­pitres consa­crés à la Lune en rai­son de la varié­té des pro­blèmes qui y sont abor­dés. Comme nous avons pu le consta­ter, si ce volume n’a pas com­blé le manque de la syn­thèse dési­rée — com­ment aurait‐il pu le faire ? —, il a reflé­té la richesse de son objet d’étude par la mul­ti­pli­ci­té des points de vue adoptés.