Livre analysé
Références
Stoffel (Jean‐François), Compte rendu de T. Timberlake & P. Wallace, « Finding Our Place in the Solar System : The Scientific Story of the Copernican Revolution », in Revue des Questions Scientifiques, vol. 191, 2020, n°1 – 2, pp. 209 – 211.
Téléchargement
Todd Timberlake & Paul Wallace
Finding Our Place in the Solar System
The Scientific Story of the Copernican Revolution
Timberlake (Todd) – Wallace (Paul), Finding Our Place in the Solar System : The Scientific Story of the Copernican Revolution. – Cambridge (UK) : Cambridge University Press, 2019. – xvii, 378 p. – 1 vol. relié de 18 × 25 cm. – 39.99$. – isbn 978−1−107−18229−5.
Pour cerner la spécificité de ce livre issu d’un cours délivré par P. Wallace au Berry College avant d’être repris et modifié par T. Timberlake, il convient de remarquer la présence, dans son sous‐titre, de l’adjectif « scientifique » venant caractériser le récit historique dont il est ici question. Or, de prime abord, cette présence est troublante : si elle est assurément conforme au contenu de ce livre, soit une histoire de la révolution copernicienne qui se distingue des autres par une focalisation bien plus importante sur l’astronomie technique sans qu’aucune équation ne soit toutefois intégrée dans le texte, elle ne semble pas être en adéquation avec son public originel, puisque celui‐ci était constitué d’étudiants poursuivant des études non scientifiques. Comment donc comprendre ce paradoxe (apparent) d’un manuel universitaire proposant une histoire de la révolution copernicienne plus technique que ce qui est habituellement de mise tout en étant destiné à des étudiants non scientifiques ? Il résulte non seulement de la formation professionnelle des auteurs (qui sont tous les deux physiciens), mais plus encore de la contrainte institutionnelle qui était la leur : délivrer, à leurs étudiants, un véritable cours de science comportant prioritairement un contenu proprement scientifique.
Réfléchissant à la manière la plus opportune d’honorer cet objectif, les titulaires successifs de ce cours ont tout d’abord déterminé le besoin réel de leur public : acquérir une compréhension générale du fonctionnement de la science plutôt qu’une connaissance pointue, forcément bientôt périmée, de ses résultats les plus récents. Ayant pris acte que la solution idéale pour acquérir une telle compréhension, à savoir s’adonner soi‐même activement à la recherche scientifique, n’était pas accessible aux étudiants qui étaient les leurs, ils se sont ensuite mis d’accord sur une solution alternative : après avoir choisi une connaissance scientifique qui soit tout à la fois importante, accessible et encore valable aujourd’hui (en l’occurrence le géocinétisme), retracer l’histoire de son acquisition afin de donner à voir, sur base de ce cas représentatif, le fonctionnement général de la science. Bien sûr, pourrait‐on objecter, un tel objectif aurait pu être atteint plus directement par la délivrance d’un cours d’épistémologie ou de philosophie des sciences. Outre le fait qu’un tel cours n’aurait pas répondu au cahier des charges imposé, non seulement c’est une objection que nous ne leur adresserons pas — nous préférons en effet la prudence et le sens de la complexité qui caractérisent généralement l’historien au dogmatisme méthodologique qui est trop souvent le fait du philosophe —, mais nous applaudirons même à leur volonté de rester attaché, grâce à l’histoire, à la description de la science telle qu’elle se pratique réellement !
Parce qu’il définit la révolution copernicienne comme le passage de la vision géocentrique du monde à la conception héliocentrique du système solaire (p. 3 et p. 8), cet ouvrage couvre une période plus large que celle habituellement désignée par cette expression, puisqu’il se poursuit jusqu’à des époques où l’univers n’est plus perçu comme héliocentrique. Après un premier chapitre introductif (11 p.) et deux chapitres destinés à acquérir les connaissances astronomiques nécessaires à la compréhension du sujet (58 p.), le récit historique prend la relève en abordant successivement le géocentrisme antique et médiéval, Copernic, Tycho Brahé, Kepler, Galilée, Newton et, finalement, les preuves avancées en faveur des mouvements de rotation et de révolution de la Terre, avant que l’ouvrage ne s’achève par de nombreuses annexes mathématiques (30 p.).
S’il confirme la focalisation annoncée sur l’astronomie technique et l’étendue chronologique mentionnée, ce bref relevé du contenu de cet ouvrage ne témoigne pas encore de sa spécificité principale : inculquer, par le détour de l’histoire des sciences, non seulement un certain nombre de connaissances scientifiques, mais aussi et surtout une certaine compréhension de la démarche scientifique. Aussi faut‐il immédiatement ajouter que chacun de ces chapitres se termine systématiquement par une section « réflexions sur la science » dont l’intitulé reflète parfaitement le contenu : il s’agit bien de réflexions diverses et variées, et non d’un exposé bien délimité et fortement structuré. Au sein d’une même section, les thématiques abordées sont donc multiples, non explicitement identifiées, traitées plus ou moins rapidement (de sorte que l’importance de l’investissement historico‐technique fourni semble parfois disproportionnée par rapport aux considérations sur la démarche scientifique qui en résultent) et quelquefois récurrentes d’un chapitre à l’autre (il faudra, par exemple, réunir le contenu de plusieurs sections pour se faire une idée synthétique de l’importance, en science, des mathématiques). En tant qu’enseignant, nous aurions attendu exactement l’inverse d’un manuel universitaire, ce qui nous aurait alors permis de choisir, pour un de nos cours, tel ou tel chapitre en fonction de la thématique explicite, bien circonscrite et suffisamment développée qui lui est associée. Or, c’était tout à fait possible ! Donnons quelques exemples. L’équivalence géométrique, démontrée par Hipparque (chap. 4), du système à épicycles et du système à excentriques est à ce point philosophiquement importante (songeons à Descartes) qu’elle aurait certainement mérité, à elle seule, de faire l’objet d’une section entière. Il en va de même du raisonnement de Galilée, soi‐disant crucial, relatif aux phases de Vénus (chap. 8), pour ne rien dire de la thématique, devenue inévitable depuis P. Duhem, relative à l’opportunité d’une attitude réaliste ou phénoménaliste pour le développement de l’astronomie.
Bref, tout en nous réjouissant de l’existence de cet ouvrage, nous regrettons que ses auteurs, désireux sans doute de plaire au public le plus large, ne se soient pas strictement tenus à l’idée, par ailleurs excellente, qui était la leur : proposer un manuel universitaire très structuré et très synthétique qui, à l’occasion d’une thématique scientifique unique (ce qui permet de diminuer l’investissement initial), donne l’occasion d’aborder de manière précise et suffisamment détaillée un certain nombre de questions d’épistémologie ou de philosophie des sciences bien identifiées, et ce tout en laissant aux enseignants le choix de suivre l’entièreté de leur livre ou d’en sélectionner l’un ou l’autre chapitre.
Privilégiant l’astronomie technique, faisant preuve de beaucoup de pédagogie, particulièrement attentif à la complexité de la démarche scientifique, enrichissant la narration historique de considérations épistémologiques mesurées et directement connectées avec la matière étudiée, soutenant une conception réaliste de la science, ce livre donnera assurément satisfaction à son public — celui des scientifiques désireux de lire une histoire de la révolution copernicienne considérée du point de vue de l’astronomie proprement dite qui soit en outre attentive au fonctionnement de la démarche scientifique —, même s’il ne correspond pas totalement à ce que, personnellement, nous aurions aimé avoir à notre disposition dans le cadre de notre enseignement essayant d’inculquer, à des étudiants non scientifiques, ce qu’est la science et, peut‐être aussi et surtout, ce qu’elle n’est pas !
Réfléchissant à la manière la plus opportune d’honorer cet objectif, les titulaires successifs de ce cours ont tout d’abord déterminé le besoin réel de leur public : acquérir une compréhension générale du fonctionnement de la science plutôt qu’une connaissance pointue, forcément bientôt périmée, de ses résultats les plus récents. Ayant pris acte que la solution idéale pour acquérir une telle compréhension, à savoir s’adonner soi‐même activement à la recherche scientifique, n’était pas accessible aux étudiants qui étaient les leurs, ils se sont ensuite mis d’accord sur une solution alternative : après avoir choisi une connaissance scientifique qui soit tout à la fois importante, accessible et encore valable aujourd’hui (en l’occurrence le géocinétisme), retracer l’histoire de son acquisition afin de donner à voir, sur base de ce cas représentatif, le fonctionnement général de la science. Bien sûr, pourrait‐on objecter, un tel objectif aurait pu être atteint plus directement par la délivrance d’un cours d’épistémologie ou de philosophie des sciences. Outre le fait qu’un tel cours n’aurait pas répondu au cahier des charges imposé, non seulement c’est une objection que nous ne leur adresserons pas — nous préférons en effet la prudence et le sens de la complexité qui caractérisent généralement l’historien au dogmatisme méthodologique qui est trop souvent le fait du philosophe —, mais nous applaudirons même à leur volonté de rester attaché, grâce à l’histoire, à la description de la science telle qu’elle se pratique réellement !
Parce qu’il définit la révolution copernicienne comme le passage de la vision géocentrique du monde à la conception héliocentrique du système solaire (p. 3 et p. 8), cet ouvrage couvre une période plus large que celle habituellement désignée par cette expression, puisqu’il se poursuit jusqu’à des époques où l’univers n’est plus perçu comme héliocentrique. Après un premier chapitre introductif (11 p.) et deux chapitres destinés à acquérir les connaissances astronomiques nécessaires à la compréhension du sujet (58 p.), le récit historique prend la relève en abordant successivement le géocentrisme antique et médiéval, Copernic, Tycho Brahé, Kepler, Galilée, Newton et, finalement, les preuves avancées en faveur des mouvements de rotation et de révolution de la Terre, avant que l’ouvrage ne s’achève par de nombreuses annexes mathématiques (30 p.).
S’il confirme la focalisation annoncée sur l’astronomie technique et l’étendue chronologique mentionnée, ce bref relevé du contenu de cet ouvrage ne témoigne pas encore de sa spécificité principale : inculquer, par le détour de l’histoire des sciences, non seulement un certain nombre de connaissances scientifiques, mais aussi et surtout une certaine compréhension de la démarche scientifique. Aussi faut‐il immédiatement ajouter que chacun de ces chapitres se termine systématiquement par une section « réflexions sur la science » dont l’intitulé reflète parfaitement le contenu : il s’agit bien de réflexions diverses et variées, et non d’un exposé bien délimité et fortement structuré. Au sein d’une même section, les thématiques abordées sont donc multiples, non explicitement identifiées, traitées plus ou moins rapidement (de sorte que l’importance de l’investissement historico‐technique fourni semble parfois disproportionnée par rapport aux considérations sur la démarche scientifique qui en résultent) et quelquefois récurrentes d’un chapitre à l’autre (il faudra, par exemple, réunir le contenu de plusieurs sections pour se faire une idée synthétique de l’importance, en science, des mathématiques). En tant qu’enseignant, nous aurions attendu exactement l’inverse d’un manuel universitaire, ce qui nous aurait alors permis de choisir, pour un de nos cours, tel ou tel chapitre en fonction de la thématique explicite, bien circonscrite et suffisamment développée qui lui est associée. Or, c’était tout à fait possible ! Donnons quelques exemples. L’équivalence géométrique, démontrée par Hipparque (chap. 4), du système à épicycles et du système à excentriques est à ce point philosophiquement importante (songeons à Descartes) qu’elle aurait certainement mérité, à elle seule, de faire l’objet d’une section entière. Il en va de même du raisonnement de Galilée, soi‐disant crucial, relatif aux phases de Vénus (chap. 8), pour ne rien dire de la thématique, devenue inévitable depuis P. Duhem, relative à l’opportunité d’une attitude réaliste ou phénoménaliste pour le développement de l’astronomie.
Bref, tout en nous réjouissant de l’existence de cet ouvrage, nous regrettons que ses auteurs, désireux sans doute de plaire au public le plus large, ne se soient pas strictement tenus à l’idée, par ailleurs excellente, qui était la leur : proposer un manuel universitaire très structuré et très synthétique qui, à l’occasion d’une thématique scientifique unique (ce qui permet de diminuer l’investissement initial), donne l’occasion d’aborder de manière précise et suffisamment détaillée un certain nombre de questions d’épistémologie ou de philosophie des sciences bien identifiées, et ce tout en laissant aux enseignants le choix de suivre l’entièreté de leur livre ou d’en sélectionner l’un ou l’autre chapitre.
Privilégiant l’astronomie technique, faisant preuve de beaucoup de pédagogie, particulièrement attentif à la complexité de la démarche scientifique, enrichissant la narration historique de considérations épistémologiques mesurées et directement connectées avec la matière étudiée, soutenant une conception réaliste de la science, ce livre donnera assurément satisfaction à son public — celui des scientifiques désireux de lire une histoire de la révolution copernicienne considérée du point de vue de l’astronomie proprement dite qui soit en outre attentive au fonctionnement de la démarche scientifique —, même s’il ne correspond pas totalement à ce que, personnellement, nous aurions aimé avoir à notre disposition dans le cadre de notre enseignement essayant d’inculquer, à des étudiants non scientifiques, ce qu’est la science et, peut‐être aussi et surtout, ce qu’elle n’est pas !
Recherche
Mots clés
Révolution copernicienne
- Analogies solaires et désenchantement du monde
- Autour de l’affaire Galilée
- Comme la chair rôtie à la broche
- Comparing Geocentrism to Anthropocentrism
- De haut en bas et du centre à la périphérie
- Désacralisation du Soleil
- Géocentrisme, héliocentrisme, anthropocentrisme
- Koyré and the Copernican Revolution
- Origine et constitution d’un mythe historiographique
- Place de l’Homme dans l’Univers
- Qui choisirait de poser ce flambeau…
