Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de M. Mer­senne, « L’impiété des Déistes » et M. Mer­senne, « La véri­té des sciences contre les Scep­tiques ou Pyr­rho­niens », in Revue d’histoire ecclé­sias­tique, vol. 109, 2014, n°1, pp. 494 – 496. 

Télé­char­ge­ment

Marin Mersenne

L’impiété des déistes

Marin Mersenne

La vérité des sciences contre les Sceptiques ou Pyrrhoniens 

Mer­senne (Marin), L’impiété des déistes / édi­tion et anno­ta­tion par Domi­nique Des­cotes. – Paris : Hono­ré Cham­pion édi­teur, 2005. – 727 p. – (Sources clas­siques ; 65).

Mer­senne (Marin), La véri­té des sciences contre les Scep­tiques ou Pyr­rho­niens / édi­tion et anno­ta­tion par Domi­nique Des­cotes. – Paris : Hono­ré Cham­pion édi­teur, 2003. – 1025 p. – (Sources clas­siques ; 49).

Qu’on le pré­sente, avec Adrien Baillet, comme rem­plis­sant, dans la répu­blique des Lettres, à peu près la fonc­tion du cœur dans le corps humain ; qu’on fasse de lui, avec Huy­gens, qui ne l’estimait guère, la « boîte à lettres du monde savant » ou avec Hobbes, qui lui était rede­vable, « le pro­cu­reur géné­ral de la Répu­blique des Lettres » ; qu’on le com­pare, avec Pierre Duhem, à « un poste cen­tral télé­pho­nique » en ajou­tant, avec For­tu­nat Strows­ki, « dans une très grande ville, un jour d’affolement » ; qu’on lui attri­bue, avec Louis Châ­tel­lier, le rôle de « modé­ra­teur », mais d’un modé­ra­teur qui ne s’impose pas la neu­tra­li­té ; qu’on assi­mile, avec Pierre Hum­bert, sa cor­res­pon­dance aux « Comptes Ren­dus de l’Académie des Sciences et à l’Inter­mé­diaire des cher­cheurs et curieux », ou enfin, pour ne pas allon­ger déme­su­ré­ment cette liste, que l’on convienne, avec Alexandre Koy­ré, qu’il était « le der­nier homme à gar­der quelque chose pour lui seul », tant il « n’aimait rien tant qu’une bonne bagarre lit­té­raire », il demeure, au‐delà de la diver­si­té de ces expres­sions et de ces com­pa­rai­sons, que le Père Marin Mer­senne joua un rôle cen­tral dans le monde savant de la pre­mière moi­tié du XVIIe siècle. Son impor­tance étant ain­si sou­li­gnée, nous ne pou­vons qu’être recon­nais­sants à Domi­nique Des­cotes, le grand édi­teur et spé­cia­liste de Blaise Pas­cal, de nous avoir offert l’édition, soi­gneu­se­ment anno­tée, de L’impiété des déistes (1624) et de La véri­té des sciences (1625), soit deux ouvrages rédi­gés alors que Mer­senne, tou­jours en for­ma­tion, n’était pas encore deve­nu le brillant ani­ma­teur que nous venons d’évoquer, mais qui ouvrent néan­moins à toute l’œuvre ulté­rieure du reli­gieux minime.

S’inscrivant dans une cam­pagne offi­cielle de défense de la reli­gion catho­lique diri­gée contre ces « êtres fuyants » que sont les liber­tins éru­dits avec les­quels il est par consé­quent dif­fi­cile de mener à terme une dis­cus­sion argu­men­tée, l’Impié­té des déistes s’efforce de res­treindre son pro­pos aux déistes, tant sont poreuses les déli­mi­ta­tions entre déisme, athéisme et scep­ti­cisme. De conte­nu clas­sique, cet ouvrage réfute essen­tiel­le­ment les Qua­trains du déiste (1re par­tie) et les thèses méta­phy­siques de Gior­da­no Bru­no (2e par­tie), tout en four­nis­sant des preuves de l’existence de Dieu inéga­le­ment effi­caces (saint Anselme, mais aus­si celles qui peuvent se tirer du monde natu­rel comme la per­fec­tion du cos­mos et l’âme du monde, sans oublier la ques­tion dis­cu­tée de l’infinité de l’univers). Adop­tant une pos­ture inter­mé­diaire entre celles de Blaise Pas­cal et de Fran­çois Garasse, le bon Père Mer­senne s’y montre atten­tif à main­te­nir le débat à un niveau pure­ment intel­lec­tuel en se tenant éloi­gné de toutes attaques ad homi­nem. À vrai dire, on sent bien qu’il aime mieux expli­quer que convaincre et décou­vrir que juger, de sorte que son iti­né­raire per­son­nel le condui­ra sans sur­prise à pro­gres­ser dans les sciences et à s’éloigner pro­gres­si­ve­ment de la polémique.

Pour l’heure, avec La véri­té des sciences, Mer­senne pour­suit son pro­gramme métho­dique contre la triade des enne­mis de la véri­té chré­tienne : après les athées, puis les déistes, voi­ci venu le tour des scep­tiques. Se tour­nant clas­si­que­ment vers Sex­tus Empi­ri­cus qui lui donne accès à tout l’arsenal du cor­pus scep­tique ancien, il se plaît à igno­rer les Modernes (sauf Léo­nard de Marau­dé), pen­sant sans doute attendre ceux‐ci der­rière ceux‐là. Dres­sant les mathé­ma­tiques contre le venin du scep­ti­cisme, il ne témoigne pas d’une com­pré­hen­sion aus­si fine du scep­ti­cisme que celle, méta­phy­sique, d’un Des­cartes ou que celle, épis­té­mo­lo­gique, d’un Pas­cal, mais il pressent, selon l’éditeur — et cette leçon reste d’actualité —, qu’une « bonne ins­truc­tion scien­ti­fique est un remède anti‐sceptique qui vaut mieux que tout trai­te­ment a pos­te­rio­ri » (p. 13). Cette fon­cière conti­nui­té en laquelle s’inscrit La véri­té des sciences n’empêche nul­le­ment de légères modi­fi­ca­tions annon­cia­trices du chan­ge­ment d’itinéraire déjà évo­qué : en par­tie parce qu’il ne par­vient pas à res­sen­tir, à l’encontre des scep­tiques, la même anti­pa­thie qu’envers les déistes, étant lui‐même, à cer­tains points de vue, dog­ma­tique, scep­tique et éclec­tique (p. 28), en par­tie parce que les scep­tiques ne sont pas les liber­tins, de sorte qu’ils ne doivent pas être blâ­més autant qu’eux, le ton se fait moins polé­mique. Une conti­nui­té donc, mais qui laisse déjà entre­voir une pro­chaine réorientation.