Livre analysé
Références
Stoffel (Jean‐François), Compte rendu de A. Drahos, « Art & médecine », in Revue des questions scientifiques, vol. 194, 2023, n°1 – 2, pp. 1 – 3. DOI : 10.14428/rqs.v194i1‑2.73303.
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Alexis Drahos
Art & médecine
Drahos (Alexis), Art & médecine. – Paris : Éditions Citadelles & Mazenod, 2022. – 352 p. – 1 vol. relié sous coffret illustré de 25 × 33 cm. – 179 €. – isbn 978−2−85088−889−2.
Après un ouvrage, publié en 2014 chez le même éditeur, sur L’astronomie dans l’art de la Renaissance à nos jours1, Alexis Drahos poursuit son enquête en se consacrant cette fois aux interactions entre histoire de l’art et histoire des sciences médicales. Alors que l’ouvrage que vous venons de mentionner débutait à l’époque de la Renaissance, celui‐ci commence avec la médecine égyptienne pour se terminer avec la pandémie de Covid‐19. En l’absence de synthèses, cette plus vaste ampleur chronologique devrait permettre aux lecteurs de mieux retracer eux‐mêmes l’évolution des représentations du corps et des conceptions de la médecine — en particulier sa progressive rationalisation — telles du moins que les peintres, majoritaires dans ce volume, l’ont perçue. Remonter au‐delà de la Renaissance est donc fort heureux, mais a un prix : celui de la pauvreté initiale des commentaires avant que ceux‐ci ne s’étoffent progressivement au fur et à mesure qu’on avance dans le temps. Autre différence : alors que l’ouvrage sur l’astronomie signalait, en regard du texte, le numéro des illustrations concernées, plus rien de tel — hélas ! — dans le présent volume.
Celui‐ci est découpé en différentes parties qui suivent d’abord l’ordre des grandes périodes historiques (Antiquité, moyen âge, Renaissance), puis celui des siècles (XVIIe, XVIIIe, XIXe et, finalement, XXe-XXIe s.). Dans un premier temps, ces parties se subdivisent principalement selon les civilisations (par. ex., « Le monde grec et latin », « La médecine arabo‐musulmane », ou encore « La médecine juive ») avant que, dans un second temps inauguré par la Renaissance, soient davantage privilégiés des savants — Léonard de Vinci, Michel‐Ange, André Vésale, William Harvey, René Laennec… —, des artistes — Van Gogh et Frida Kahlo —, ou encore des thèmes plus ou moins récurrents et plus ou moins attendus. Parmi ceux‐ci, viennent immanquablement la dissection (moyen âge), l’anatomie (XVIIe, XVIIIe, XXe-XXIe s.) et finalement la chirurgie (XIXe s.), mais aussi, de manière plus originale, les pathologies à la Renaissance — ce qui donne à redécouvrir, sous un autre jour, des œuvres déjà fort connues — et dans la peinture espagnole du XVIIe siècle — ce qui permet, cette fois, de découvrir des œuvres qui le sont sans doute moins — ou encore — sujet devenu presque incontournable depuis les travaux de Michel Foucault — la folie au XIXe siècle.
La perfection n’étant pas de ce monde, quelques suggestions ponctuelles. Traitant de Léonard de Vinci, l’auteur écrit prudemment : « La dissection embarrasse l’Église : s’y livrer ne reviendrait‐il pas à douter de la création de Dieu et de sa perfection ? » (p. 80). Sans remettre en question les réticences manifestées par l’Église, ne pourrait‐on pas soutenir avec plus de certitude qu’au sein de la vision du monde alors partagée, c’est l’analogie microcosme / macrocosme, d’ailleurs évoquée (p. 113), qui fit obstacle dès lors que s’en prendre, par l’acte de dissection, au « petit monde » revenait symboliquement à s’en prendre au « grand » ? Quant au célébrissime frontispice du De humani corporis fabrica libri septem (p. 105), il aurait sans doute mérité une analyse plus approfondie. Plus que « deux personnages dont l’un repousse un macaque à gauche, et l’autre, un chien, à droite » dont il est proposé de voir, « dans ces gestes apparemment anodins », « une attaque de la tradition galénique » (p. 107), ne faut‐il pas d’abord et surtout opposer l’agressivité du singe perturbateur mordant un étudiant, à gauche, au caractère paisible des deux chiens, à droite ? Il y va de la structuration générale de ce frontispice qui, selon un axe vertical, oppose la gauche, traditionnellement identifiée au passé (en l’occurrence d’une méthode scientifique désormais désuète), à la droite, tout aussi traditionnellement conçue comme l’avenir (en la circonstance prometteur, du moins si l’on veut bien adopter la méthode vésalienne). Aussi, au lieu d’attendre le livre figurant au premier plan de La leçon d’anatomie du docteur Nicolas Tulp pour y voir « une métaphore du rejet de l’enseignement livresque au profit de l’exercice de la dissection » (p. 163), c’est dès le frontispice de Vésale que cette observation devait être faite : sur la gauche, du côté du singe agressif donc, on remarque en effet un enfant lisant attentivement un livre au lieu d’observer scrupuleusement la dissection en cours, alors que sur la droite, du côté des deux chiens paisibles, un vieil homme tient, plus judicieusement, son livre fermé tout en pointant de son index, comme si cela ne suffisait pas, ce qui mérite réellement de retenir l’attention.
À défaut d’offrir une analyse détaillée de chacune des œuvres artistiques sélectionnées, ou même des plus importantes d’entre elles, cet ouvrage, grâce à son texte agréable à lire, bien informé et accessible au plus grand nombre, nous livre une histoire de la médecine replacée dans son contexte général ; une histoire, on l’aura compris, accompagnée d’un corpus iconographique de toute première qualité, comme sait le faire Citadelles & Mazenod, dont le potentiel n’est cependant pas encore épuisé !
1 Voir, dans cette revue, le compte rendu que nous lui avons consacré (tome 189, 2018, n°1 – 2, pp. 205 – 206).
