Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de E. Cou­rant, « Poé­sie et cos­mo­lo­gie dans la seconde moi­tié du XIXe siècle : nou­velle mytho­lo­gie de la nuit à l’ère du posi­ti­visme », in Revue des ques­tions scien­ti­fiques, vol. 192, 2021, n°1 – 2, pp. 225 – 227.

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Elsa Courant

Poésie et cosmologie dans la seconde moitié du XIXe siècle

Nouvelle mythologie de la nuit à l’ère du positivisme

Cou­rant (Elsa), Poé­sie et cos­mo­lo­gie dans la seconde moi­tié du XIXe siècle : nou­velle mytho­lo­gie de la nuit à l’ère du posi­ti­visme. – Genève : Librai­rie Droz, 2020. – 808 p. – 1 vol. bro­ché de 15 × 22 cm. – 46,45 €. – isbn 978−2−600−06026−4.
Nous crai­gnons, mal­heu­reu­se­ment, que les his­to­riens de la pen­sée astro­no­mique et/ou cos­mo­lo­gique fassent l’impasse sur cette mono­gra­phie et que ceux de la pen­sée reli­gieuse ne songent tout sim­ple­ment pas à la lire. En dépit de l’imposante éru­di­tion de l’au­teure, qui conduit à une somme de plus de 700 pages que cer­tains hési­te­ront sans doute à affron­ter ; de l’excellence, d’un point de vue lit­té­raire, de ses ana­lyses des textes cités et de leurs réfé­rences inter­tex­tuelles ; de la qua­li­té remar­quable de son style, dont l’élévation et la tech­ni­ci­té risquent tou­te­fois de réduire le nombre de lec­teurs poten­tiels ; et enfin de son apti­tude à recons­ti­tuer la com­plexi­té et la diver­si­té des pos­tures en pré­sence grâce à un cor­pus impo­sant de 251 auteurs dont nombre d’entre eux semblent avoir dû attendre cette mono­gra­phie pour être mis au jour, nous ne sau­rions blâ­mer ni les uns ni les autres, du moins dans un pre­mier temps ! Les pre­miers — ceux‐là mêmes qui, ayant lu naguère La poé­sie du ciel1 d’Isabelle Pan­tin, auraient pu être ten­tés d’en faire autant aujourd’hui — auront rai­son de signa­ler une diver­gence impor­tante. Comme l’indique la bina­ri­té pré­sente dans le titre, il s’agit ici d’une approche qui, aus­si inté­res­sante soit‐elle pour l’histoire lit­té­raire, les concerne beau­coup moins : à savoir, les rap­ports entre poé­sie et cos­mo­lo­gie et non pas la poé­sie de la cos­mo­lo­gie. Ils seront d’ailleurs confor­tés dans ce sen­ti­ment en consta­tant que le terme « cos­mo­lo­gie » est pris comme syno­nyme de « concep­tion du monde » — de « Wel­tan­schauung » aurait écrit Koy­ré — au lieu de seule­ment dési­gner cette « science de l’univers » qui retient tout leur inté­rêt. Quant aux seconds, à savoir les his­to­riens de la pen­sée reli­gieuse ou, mieux encore, du sen­ti­ment reli­gieux, ils feront remar­quer, avec tout autant de jus­tesse, que ni le titre ni le sous‐titre ne semblent les concer­ner. Ils ne peuvent en effet devi­ner qu’un des thèmes récur­rents de ce livre devrait, lui, les inté­res­ser, en l’occurrence le sen­ti­ment de désen­chan­te­ment du monde res­sen­ti à cette époque ain­si que cer­taines ten­ta­tives menées pour le réen­chan­ter. Si les spé­cia­listes des inter­ac­tions lit­té­raires entre poé­sie et cos­mo­lo­gie au XIXe siècle ne man­que­ront cer­tai­ne­ment pas de se réjouir de cette nou­velle publi­ca­tion qui devrait prendre date dans l’historiographie de leur thé­ma­tique, il nous importe de contrer la double crainte que nous venons d’exprimer. Aus­si, sans ten­ter une quel­conque réca­pi­tu­la­tion des prin­ci­pales thèses de cette mono­gra­phie, nous nous pro­po­sons de poin­ter, assez libre­ment, ce qui, dans ce livre, est de nature à inté­res­ser ces deux publics. Nous le ferons à par­tir du point de vue bien par­ti­cu­lier qui est le nôtre et qui se situe assu­ré­ment à la marge de celui de l’auteure.

D’un point de vue stric­te­ment scien­ti­fique, deux prin­ci­pales nou­veau­tés, selon l’au­teure, carac­té­risent l’époque concer­née : la décou­verte, en 1846, de la pla­nète Nep­tune dont l’existence et la posi­tion ont été pré­dites par les seules forces des mathé­ma­tiques ain­si que le déve­lop­pe­ment de la spec­tro­sco­pie stel­laire. Nous en ajou­te­rons deux autres dont l’importance sur la « concep­tion du monde » sera incon­tes­ta­ble­ment déter­mi­nante : la révo­lu­tion dar­wi­nienne et la for­mu­la­tion du second prin­cipe de la ther­mo­dy­na­mique. Bien qu’il en soit ques­tion par‐ci par‐là, on s’étonne de consta­ter le peu d’importance qui, dans le cor­pus rete­nu, semble leur être accor­dée, ce qui, pour la pre­mière d’entre elles, est d’autant plus étrange que s’établit, à cette époque, une ana­lo­gie entre l’« erreur géo­cen­trique » (Coper­nic) et l’« erreur anthro­po­cen­trique » (Dar­win) qui fera flo­rès. En revanche, bien que l’auteure n’en dise mot2, les prin­ci­pales ques­tions débat­tues, elles, ne béné­fi­cient guère d’une telle nou­veau­té : ni la prise de conscience de l’uniformité de la matière au sein du cos­mos, ni celle de la mort inévi­table des étoiles, et de notre Soleil en par­ti­cu­lier, ni même celle de l’insigni­fiance de l’homme à l’échelle de l’univers3 ne consti­tuent une « crainte nou­velle » (p. 248) qui serait spé­ci­fique au second XIXe siècle. Ce qui com­plique la situa­tion, et c’est une réa­li­té sur laquelle l’auteure attire cette fois jus­te­ment notre atten­tion (par ex., p. 222, n. 65, p. 333 ou p. 343), ces prises de conscience (qui nous paraissent donc davan­tage renou­ve­lées que retar­dées) peuvent don­ner lieu à des inter­pré­ta­tions radi­ca­le­ment oppo­sées : si l’identité maté­rielle des mondes ter­restre et céleste, mani­fes­tée par le rele­vé des com­po­sés chi­miques pré­sents dans les étoiles, peut être inter­pré­tée comme une indi­gence de l’Être suprême contraint d’utiliser tou­jours et par­tout les mêmes maté­riaux (p. 204), cette même iden­ti­té peut tout aus­si bien être per­çue comme une preuve de l’unité d’un cos­mos dû à un Grand archi­tecte (p. 333). Se pose dès lors, à notre avis, la ques­tion fon­da­men­tale de savoir pour­quoi le choix a été majo­ri­tai­re­ment fait de pri­vi­lé­gier l’interprétation d’un désen­chan­te­ment du monde et d’en faire le « pré­texte » — car c’est bien de cela dont il s’agit — d’une « des­truc­tion cri­tique de la foi » (p. 220). Sur ce point, cette mono­gra­phie, grâce à la docu­men­ta­tion qu’elle four­nit et à la minu­tieuse recons­ti­tu­tion de l’esprit du temps qu’elle nous offre, est sus­cep­tible de four­nir de pré­cieux élé­ments de réponse. Outre ceux rele­vés par l’auteure, nous vou­drions signa­ler l’extrême naï­ve­té, qui éclate presque à chaque page, des connais­sances théo­logiques de ceux aux­quels la parole est don­née, et donc Camille Flam­ma­rion, évi­dem­ment omni­pré­sent, incarne un exemple émou­vant. Don­nons un seul exemple que l’auteure est ame­née à rap­por­ter de manière répé­ti­tive (par ex., p. 247, 252, 256, 259, 272, 344…) : tirer de la nature éphé­mère des corps célestes le carac­tère illu­soire de cet attri­but de Dieu qu’est l’éternité, c’est non seule­ment mani­fes­ter une incom­pré­hen­sion radi­cale de ce que la théo­lo­gie entend par ce terme et, cor­ré­la­ti­ve­ment, par celui de trans­cen­dance, mais c’est éga­le­ment oublier que la Genèse et l’Apocalypse elles‐mêmes don­naient déjà à conce­voir la non‐permanence du monde natu­rel. Nihil novi sub sole donc ! À nou­veau, cette mono­gra­phie est éclai­rante, sans en tirer cette conclu­sion, sur le choix qui fut fait par la majo­ri­té de ceux qu’elle évoque : se défaire de Dieu plu­tôt que renon­cer à la concep­tion naïve qu’ils s’étaient faite de Lui.

Consa­crée à une époque tra­ver­sée par une pro­fonde crise spi­ri­tuelle qui engendre aus­si bien une nos­tal­gie de l’antique cos­mos qu’une recherche, tous azi­muts, d’alter­natives aux reli­gions dog­ma­tiques — alter­na­tives des­ti­nées, confor­mé­ment à l’esprit du temps, à ras­su­rer davan­tage que ces der­nières en sub­sti­tuant une pseu­do cer­ti­tude scien­ti­fique à la croyance —, il serait dom­mage que plu­sieurs cha­pitres de cette mono­gra­phie par­ti­cu­liè­re­ment éru­dite ne soient lus que par les seuls his­to­riens de la littérature. 

1 Pan­tin, I. (1995), La poé­sie du ciel en France dans la seconde moi­tié du sei­zième siècle. Genève : Librai­rie Droz.

2 Sauf à recon­naître, avec rai­son, l’existence géné­rale d’« effets de retard » (p. 20) dont la poten­tielle impor­tance chro­no­lo­gique n’est tou­te­fois pas précisée.

3 Contentons‐nous de ce seul exemple. Quant Flam­ma­rion, avec péda­go­gie, ramène les dis­tances cos­miques à la durée d’un voyage en train pour les rendre plus acces­sibles à l’imagination humaine (p. 224 et p. 227), le XVIIe siècle usait déjà d’un pro­cé­dé simi­laire en don­nant le temps que met­trait une enclume pour rejoindre la Terre depuis ces loin­taines pla­nètes ou un bou­let de canon tiré depuis leur sur­face, à moins qu’il ne pré­fère évo­quer la durée que met­trait un che­val pour par­cou­rir les dis­tances évo­quées (D. Špel­da, Les soleils et leurs obser­va­teurs au XVIIe siècle, in Revue des ques­tions scien­ti­fiques, vol. 189, 2018, n°4, p. 547).