Livre analysé
Références
Stoffel (Jean‐François), Compte rendu de E. Courant, « Poésie et cosmologie dans la seconde moitié du XIXe siècle : nouvelle mythologie de la nuit à l’ère du positivisme », in Revue des questions scientifiques, vol. 192, 2021, n°1 – 2, pp. 225 – 227.
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Elsa Courant
Poésie et cosmologie dans la seconde moitié du XIXe siècle
Nouvelle mythologie de la nuit à l’ère du positivisme
D’un point de vue strictement scientifique, deux principales nouveautés, selon l’auteure, caractérisent l’époque concernée : la découverte, en 1846, de la planète Neptune dont l’existence et la position ont été prédites par les seules forces des mathématiques ainsi que le développement de la spectroscopie stellaire. Nous en ajouterons deux autres dont l’importance sur la « conception du monde » sera incontestablement déterminante : la révolution darwinienne et la formulation du second principe de la thermodynamique. Bien qu’il en soit question par‐ci par‐là, on s’étonne de constater le peu d’importance qui, dans le corpus retenu, semble leur être accordée, ce qui, pour la première d’entre elles, est d’autant plus étrange que s’établit, à cette époque, une analogie entre l’« erreur géocentrique » (Copernic) et l’« erreur anthropocentrique » (Darwin) qui fera florès. En revanche, bien que l’auteure n’en dise mot2, les principales questions débattues, elles, ne bénéficient guère d’une telle nouveauté : ni la prise de conscience de l’uniformité de la matière au sein du cosmos, ni celle de la mort inévitable des étoiles, et de notre Soleil en particulier, ni même celle de l’insignifiance de l’homme à l’échelle de l’univers3 ne constituent une « crainte nouvelle » (p. 248) qui serait spécifique au second XIXe siècle. Ce qui complique la situation, et c’est une réalité sur laquelle l’auteure attire cette fois justement notre attention (par ex., p. 222, n. 65, p. 333 ou p. 343), ces prises de conscience (qui nous paraissent donc davantage renouvelées que retardées) peuvent donner lieu à des interprétations radicalement opposées : si l’identité matérielle des mondes terrestre et céleste, manifestée par le relevé des composés chimiques présents dans les étoiles, peut être interprétée comme une indigence de l’Être suprême contraint d’utiliser toujours et partout les mêmes matériaux (p. 204), cette même identité peut tout aussi bien être perçue comme une preuve de l’unité d’un cosmos dû à un Grand architecte (p. 333). Se pose dès lors, à notre avis, la question fondamentale de savoir pourquoi le choix a été majoritairement fait de privilégier l’interprétation d’un désenchantement du monde et d’en faire le « prétexte » — car c’est bien de cela dont il s’agit — d’une « destruction critique de la foi » (p. 220). Sur ce point, cette monographie, grâce à la documentation qu’elle fournit et à la minutieuse reconstitution de l’esprit du temps qu’elle nous offre, est susceptible de fournir de précieux éléments de réponse. Outre ceux relevés par l’auteure, nous voudrions signaler l’extrême naïveté, qui éclate presque à chaque page, des connaissances théologiques de ceux auxquels la parole est donnée, et donc Camille Flammarion, évidemment omniprésent, incarne un exemple émouvant. Donnons un seul exemple que l’auteure est amenée à rapporter de manière répétitive (par ex., p. 247, 252, 256, 259, 272, 344…) : tirer de la nature éphémère des corps célestes le caractère illusoire de cet attribut de Dieu qu’est l’éternité, c’est non seulement manifester une incompréhension radicale de ce que la théologie entend par ce terme et, corrélativement, par celui de transcendance, mais c’est également oublier que la Genèse et l’Apocalypse elles‐mêmes donnaient déjà à concevoir la non‐permanence du monde naturel. Nihil novi sub sole donc ! À nouveau, cette monographie est éclairante, sans en tirer cette conclusion, sur le choix qui fut fait par la majorité de ceux qu’elle évoque : se défaire de Dieu plutôt que renoncer à la conception naïve qu’ils s’étaient faite de Lui.
Consacrée à une époque traversée par une profonde crise spirituelle qui engendre aussi bien une nostalgie de l’antique cosmos qu’une recherche, tous azimuts, d’alternatives aux religions dogmatiques — alternatives destinées, conformément à l’esprit du temps, à rassurer davantage que ces dernières en substituant une pseudo certitude scientifique à la croyance —, il serait dommage que plusieurs chapitres de cette monographie particulièrement érudite ne soient lus que par les seuls historiens de la littérature.
1 Pantin, I. (1995), La poésie du ciel en France dans la seconde moitié du seizième siècle. Genève : Librairie Droz.
2 Sauf à reconnaître, avec raison, l’existence générale d’« effets de retard » (p. 20) dont la potentielle importance chronologique n’est toutefois pas précisée.
3 Contentons‐nous de ce seul exemple. Quant Flammarion, avec pédagogie, ramène les distances cosmiques à la durée d’un voyage en train pour les rendre plus accessibles à l’imagination humaine (p. 224 et p. 227), le XVIIe siècle usait déjà d’un procédé similaire en donnant le temps que mettrait une enclume pour rejoindre la Terre depuis ces lointaines planètes ou un boulet de canon tiré depuis leur surface, à moins qu’il ne préfère évoquer la durée que mettrait un cheval pour parcourir les distances évoquées (D. Špelda, Les soleils et leurs observateurs au XVIIe siècle, in Revue des questions scientifiques, vol. 189, 2018, n°4, p. 547).
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