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Robert Fludd
Histoire métaphysique, physique et technique des deux cosmos
Pierre Gassendi
Examen de la philosophie de Robert Fludd
Fludd (Robert), Œuvres complètes. – Vol. 3 : Histoire métaphysique, physique et technique des deux cosmos / traduit du latin par François Fabre. – Paris : S.É.H.A. ; Milan : Archè edizioni, 2017. – 341 p. – (Textes et travaux de Chrysopœia ; 19). – 1 vol. broché de 17 × 24 cm. – 32,00 €. – isbn 978−88−7252−351−3.
Gassendi (Pierre), Examen de la philosophie de Robert Fludd / texte présenté, traduit et annoté par Sylvie Taussig avec le fac‐similé du texte latin. – Paris : S.É.H.A. ; Milan : Archè, 2016. – 358 p. – (Textes et travaux de Chrysopœia ; 18). – 1 vol. broché de 17 × 24 cm. – 36,00 €. – isbn 978−2−9518278−7−5.
Par ce qui est sans doute une pure coïncidence éditoriale, la traduction française de l’Utriusque cosmi (1617) de Robert Fludd a été publiée quasi simultanément avec celle de l’Epistolica exercitatio (1631) que Pierre Gassendi rédigea à la demande expresse de Marin Mersenne, lequel était désireux non seulement d’être disculpé des attaques portées contre lui par le théosophe anglais, mais également de voir confirmée sa parfaite orthodoxie. Dans la mesure où le texte de Fludd n’est présenté que par une très courte introduction (5 p.), dépourvue de toutes orientations bibliographiques, et n’est accompagné que par de rares notes portant uniquement sur l’édition et la traduction du texte latin, alors que celui de Gassendi est, au contraire, flanqué d’une introduction substantielle (68 p.) et de notes fouillées (75 p.), il est permis de se demander si cette coïncidence n’est pas finalement heureuse dans la mesure où la seconde traduction mentionnée pourrait aider à la compréhension de la première. Certes, dans l’Epistolica exercitatio, Gassendi examine successivement (2e et 3e parties) les deux livres publiés en 1629 par Fludd à l’encontre de Mersenne, à savoir le Sophiæ cum Moria certamen et le Summum Bonum, et nullement celui qui nous occupe, en l’occurrence l’Utriusque cosmi. Néanmoins, étant donné que le savant français s’efforce, avant de livrer son jugement, de synthétiser, en une trentaine de pages et de façon la plus neutre possible, « quels sont les principes de la philosophie de Fludd » (1re partie), et ce en se basant notamment sur l’Utriusque cosmi (p. 31), la question posée nous paraît légitime. Elle l’est sans doute d’autant plus que si tout historien de la pensée scientifique a déjà rencontré, au moins une fois dans sa carrière, une image de l’Utriusque cosmi — elles sont bien reconnaissables et font partie intégrante de la pensée du théosophe anglais —, la lecture de cet écrit n’en est pas moins difficile pour le non spécialiste, tellement la conception du monde véhiculée, qui n’est évidemment plus la nôtre, n’est déjà plus non plus celle de la plupart des savants du XVIIe siècle. Or, il semble qu’il faille se montrer prudent : la synthèse de Gassendi, nous prévient la traductrice, ne constitue pas une bonne introduction au système fluddien, principalement en ce qu’elle se passe de ses images (pp. 18 – 19), à tel point qu’il est permis de s’interroger sur l’intelligibilité de sa restitution (pp. 38 – 39). Dont acte !
Mais au fond, quel intérêt y a‑t‐il à se confronter à la lecture de ces deux textes si on n’est ni un spécialiste de l’alchimie, de la kabbale, de la magie, de la chiromancie, de la musique ou de la fraternité de la Rose‐Croix, ni un historien de la philosophe capable de savourer une grandiose vision du monde ? Si on n’est ni préoccupé par des problématiques théologiques — parce qu’il supprime les causes secondes pour reconnaître partout l’intervention immédiate de Dieu, Fludd est qualifié d’athée par Mersenne et, plus justement, de panthéiste par Gassendi qui lui reproche ainsi d’avoir une conception fondamentalement erronée de la divinité —, ni intéressé par des questions d’exégèse ou d’articulation des discours scientifiques et religieux — Fludd entend fonder son hexaéméron sur la philosophie « mosaïque » alors que Gassendi, dans le sillage de Galilée, rejette tout concordisme de ce type ? Si, enfin, on n’est pas davantage soucieux d’étudier les débats scientifiques — dans cette querelle, l’attitude de Gassendi, favorable à un débat critique, mais courtois et restreint aux milieux scientifiques, diverge, sans pour autant être finalement moins sévère, de celle jusque‐là endossée par le Religieux Minime, à savoir celle d’une « police de la pensée » susceptible de faire appel aux autorités politiques —, mais, bel et bien, un historien de la pensée scientifique ?
La réponse n’est pas évidente. Dans l’élaboration de sa cosmogonie et, en particulier, dans sa mise en évidence de l’harmonie cosmique au moyen de son « monocorde mondain », Fludd, contrairement à Kepler, n’a que faire du monde matériel tel qu’il est étudié quantitativement par la science. Par conséquent, il ne paraît pas devoir relever de l’histoire de la pensée scientifique, même s’il saupoudre sa reconstitution intellectuelle de descriptions d’expériences et de relevés d’observations personnelles. Quant à l’Epistolica exercitatio, il semble que cet écrit soit, cette fois encore, guère pertinent de ce point de vue dans la mesure où il « porte essentiellement sur des questions théologiques, et non pas sur des dimensions scientifiques ou épistémologiques » (pp. 70 – 71). Et pourtant, en tant qu’historien de la cosmologie, il y a des choses intéressantes à glaner dans ces deux écrits. Tentons, par quelques exemples, de le prouver tout en suppléant, en cette matière, à la pauvreté ou à l’inexistence des commentaires des traducteurs.
Alors qu’il écrit une septantaine d’années après la publication du De revolutionibus de Copernic, Fludd reste non seulement, d’un point de vue astronomique, un géocentriste convaincu, mais également, d’un point de vue symbolique, un adepte particulièrement éloquent et représentatif de la topographie verticale traditionnellement associée à ce géocentrisme astronomique. Examinons séparément ces deux caractéristiques essentielles dès lors qu’elles ne sont pas forcément concomitantes.
D’un point de vue astronomique, Fludd réfute le système de Copernic (liv. V, chap. XV) en produisant des arguments dont certains, non conventionnels, sont dignes d’intérêt : 1°) l’ignominie de la Terre lui interdit, en tant que telle, non pas de se mouvoir, mais bien de se distinguer des autres planètes par un mouvement qui lui serait spécifique ; 2°) l’absence du bruit qui devrait nécessairement résulter d’un mouvement terrestre aussi véloce ; enfin 3°) l’argument traditionnel selon lequel il est plus aisé de mouvoir le ciel, naturellement apte au mouvement, que la Terre, naturellement lourde, mais qui — fait significatif de ce mélange fluddien de considérations éminemment abstraites et de données empiriques — reçoit ici une traduction mécanique : il est plus facile de faire tourner une roue en exerçant une force sur sa circonférence plutôt que sur son centre. Face à cette prise de position anticopernicienne, la posture adoptée par Gassendi, alors qu’il est déjà acquis, à cette époque, au système copernicien (p. 34), est intéressante : après avoir annoncé qu’il ne s’attardera « nullement sur le fait que [Fludd] attaque Copernic et Gilbert à propos du mouvement de la terre », il poursuit en ne s’étonnant pas davantage que le théosophe anglais ait méprisé le commentaire copernicien relatif à la nécessité de situer l’astre du jour au centre (De revolutionibus, liv. I, chap. X) « dès lors qu’il parle d’une autre terre non volatile et d’un autre soleil central que ceux que nous entendons communément » (1re partie, § XVIII, p. 101). S’il est vrai que « le raisonnement est assez tortueux » (p. 221, n. 123), il est en tout cas manifeste que Gassendi refuse le débat en séparant purement et simplement, comme portant sur des objets différents, le discours fluddien et le discours scientifique. Mais faut‐il comprendre, comme le laisse penser la traductrice, que c’est en raison d’une telle distinction — dont il reste à prouver qu’elle était aussi celle de Fludd — que le théosophe anglais a pu, « malgré sa passion pour les symboles pythagoriciens et platoniciens », rejeter l’invitation copernicienne qui lui était adressée d’adopter, pour des raisons symboliques auxquelles il aurait dû être sensible, la centration héliocentrique du Soleil ? Nous ne le pensons pas, mais pour nous justifier, il nous faut nous tourner vers la seconde caractéristique annoncée, à savoir l’adoption de la topographie verticale traditionnellement associée au géocentrisme.
D’un point de vue symbolique en effet, Fludd met en œuvre toutes les caractéristiques classiques d’une telle topographie, ce qui le conduit à dévaloriser la centralité purement géométrique de la Terre, associée au bas et donc à la bassesse, et à valoriser le Soleil situé à l’intersection de la pyramide matérielle et de la pyramide formelle, soit dans la position médiane du macrocosme. Il peut dès lors mettre en relation — selon un vieux topos qui, loin d’être « hérité de la littérature astrologique médiévale » (p. 222, n. 140), lui est bien antérieur1 — l’astre du jour avec le cœur, dès lors que le microcosme, lui aussi, est pourvu d’une pyramide matérielle et d’une autre formelle qui se croisent, précisément, au niveau de cet organe. Si Fludd peut donc mépriser l’appel copernicien l’invitant à centrer le Soleil, ce n’est donc parce que l’un et l’autre parlent d’objets différents, ce n’est pas davantage parce qu’il existerait réellement une « contradiction inhérente à la doctrine fluddienne, qui est géocentrique alors même que la centralité du soleil est un de ses piliers et principes » (p. 34), mais parce qu’une telle invitation est, pour lui, sans objet dès lors que le Soleil bénéficie déjà, dans son géocentrisme, d’une centralité glorieuse. Mais cela, Gassendi, qui ne partage pas la même topographie que Fludd, ne peut l’admettre, comme en témoigne sa remarque. Ce qui, ici, doit être noté, c’est moins le fait que Fludd, de concert avec tous les partisans de cette topographie verticale, ait obtenu cette position médiane de l’astre solaire au prix d’une idéalisation irréfléchie, mais bien que Mersenne et Gassendi (1re partie, § XXVII, p. 110) prennent désormais conscience de cette idéalisation et l’assimilent dès lors à une erreur : ce qui était jusque‐là non pas admis, mais véritablement occulté par tous les tenants de la topographie verticale est aujourd’hui dénoncé par les partisans de la nouvelle topographie héliocentrique qui, elle, positionne vraiment l’astre du jour au centre spatial du monde.
Même les historiens de la pensée scientifique se doivent donc de remercier nos deux traducteurs pour avoir mis à leur disposition ces textes à bien des égards étonnants !
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