Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de J. Dhombres & P. Radelet‐de Grave, « Une méca­nique don­née à voir : les thèses illus­trées défen­dues à Lou­vain en juillet 1624 par Gré­goire de Saint‐Vincent s.j. », in Revue d’histoire ecclé­sias­tique, vol. 109, 2014, n°1, pp. 496 – 497.

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Jean Dhombres – Patricia Radelet‐de Grave

Une mécanique donnée à voir

Les thèses illustrées défendues à Louvain en juillet 1624 par Grégoire de Saint‐Vincent s.j.

Dhombres (Jean) – Radelet‐de Grave (Patri­cia), Une méca­nique don­née à voir : les thèses illus­trées défen­dues à Lou­vain en juillet 1624 par Gré­goire de Saint‐Vincent s.j. – Turn­hout : Bre­pols Publi­shers, 2008. – viii, 551 p. – (De diver­sis arti­bus ; 82 : nouv. série ; 45).

Le 29 juillet 1624, Gau­thier van Ael­st et Jan Cier­mans, deux appren­tis jésuites élèves du mathé­ma­ti­cien belge Gré­goire de Saint‐Vincent s.j. (1584−1667), défendent, au col­lège de la Socié­té de Jésus de Lou­vain sous le titre Theo­re­ma­ta mathe­ma­ti­ca scien­tiae sta­ti­cae, exac­te­ment les mêmes thèses de sta­tique, l’un le matin, l’autre l’après-midi. Encore faut‐il immé­dia­te­ment pré­ci­ser que ces « thèses », sou­te­nues sous la pré­si­dence du dit Gré­goire et com­po­sées de vingt théo­rèmes et de douze para­doxes, ne sont pas ain­si qua­li­fiées dans la mesure où elles leur per­met­traient d’accéder au titre de doc­teur — leur col­lège ne relève pas de l’université —, mais bien en rai­son de leur sta­tut de « brèves affir­ma­tions non dis­cu­tées » qui les rat­tache au genre lit­té­raire de la thèse uni­ver­si­taire. Dans le pré­sent volume, l’édition et la tra­duc­tion de ces « thèses » occupent 44 pages, aux­quelles s’ajoute une petite cen­taine de pages de com­men­taires. Or, ce fort volume, riche­ment illus­tré et publié avec soin, com­porte plus de 500 pages ! C’est dire non pas l’importance, ni intrin­sèque ni his­to­rique, de ces « thèses » — dès leur sou­te­nance, elles res­te­ront en marge de la mémoire savante —, mais bien l’exhaustivité de l’enquête menée à leur pro­pos. Enquête d’autant plus néces­saire et d’autant plus éten­due que ces « thèses » ne cessent de sur­prendre et de poser ques­tions. Étant don­né le jeune âge (21 et 22 ans) des deux appren­tis jésuites en ques­tion, jeune âge qui contraste avec l’originalité et le haut niveau scien­ti­fique des thèses défen­dues, ne convient‐il pas d’attribuer leur rédac­tion à leur pro­mo­teur, en l’occurrence Gré­goire de Saint‐Vincent lui‐même, confor­mé­ment à une habi­tude long­temps main­te­nue ? Pro­duites et défen­dues en milieu jésuite seule­ment 8 ans après la célèbre condam­na­tion de 1616, ne faut‐il pas les inter­pré­ter comme une défense soi­gneu­se­ment voi­lée du mou­ve­ment de la Terre, ce qui aide­rait à com­prendre pour­quoi, d’une part, ces théo­rèmes, pré­sen­tés dès le titre comme rele­vant de la sta­tique, traitent autant du mou­ve­ment et pour­quoi, d’autre part, on n’y trouve ni condam­na­tion de l’héliocentrisme ni défense du géo­cen­trisme ? Alors que l’illustration est très oné­reuse, pour­quoi ces « thèses » sont‐elles accom­pa­gnées d’une ico­no­gra­phie aus­si riche et aus­si soi­gnée, pro­ve­nant notam­ment de l’Amo­rum Emble­ma­ta (1608) de Vae­nius, un joli livre d’emblèmes com­po­sé de sen­tences sur l’amour pro­fane ? Ce qui ren­force encore cette der­nière inter­ro­ga­tion sur le rôle de l’iconographie au sein de ces « thèses », inter­ro­ga­tion qui est véri­ta­ble­ment au cœur de cet ouvrage comme son titre l’indique assez, c’est le fait que l’auteur des vignettes, loin d’être un artiste igno­rant tout de la science et des mathé­ma­tiques, n’est autre que Jan Cier­mans, soit l’un des deux défen­seurs des thèses concer­nées ! Gui­dés par les auteurs qui nous apprennent à arrê­ter notre regard sur cette méca­nique don­née à voir, nous com­pre­nons alors que ces pay­sages natu­rels entou­rant les figures géo­mé­triques sont des­ti­nés à rendre natu­relle cette mathé­ma­tique pour­tant nou­velle et, en l’incarnant direc­te­ment dans la nature elle‐même, à lui don­ner une por­tée réa­liste et non fic­tion­nelle ; nous remar­quons l’apparition des poin­tillés pour faire voir une tra­jec­toire, c’est-à-dire un mou­ve­ment ; nous recon­nais­sons les put­ti comme étant en réa­li­té des enfants expé­ri­men­ta­teurs fai­sant valoir ce qu’il convient de voir…, bref, nous sai­sis­sons à quel point ces illus­tra­tions, nul­le­ment acces­soires mais véri­ta­ble­ment vou­lues, sont essen­tielles au texte, voire même le dépassent. Pour­quoi, enfin, cette absence de toute réfé­rence aus­si bien à l’iconographie chré­tienne que jésuite, pour­quoi donc cette laï­ci­sa­tion de la science alors que Gré­goire de Saint‐Vincent est un acteur de la Contre‐Réforme ? La ques­tion ici posée, à savoir celle de l’éventuel enjeu apo­lo­gé­tique de la pos­ture assu­mée par Gré­goire, est assu­ré­ment celle qui reçoit, de la part des auteurs, la réponse la moins assu­rée. Consa­crée à celui qui est pré­sen­té comme le pre­mier cher­cheur pro­fes­sion­nel de la Com­pa­gnie de Jésus et comme celui qui contri­bua à l’indépendance des mathé­ma­tiques en Bel­gique, cette somme est vouée à l’événement d’une seule jour­née, les « thèses » défen­dues le 29 juillet 1624, mais cette jour­née, elle nous la fait revivre avec brio !