Livre analysé
Références
Stoffel (Jean‐François), Compte rendu de J.-J. Szczeciniarz, « Copernic et la révolution copernicienne », in Revue philosophique de Louvain, vol. 98, 2000, n°2, pp. 371 – 374.
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Jean‐Jacques Szczeciniarz
Copernic et la révolution copernicienne
Szczeciniarz (Jean‐Jacques), Copernic et la révolution copernicienne. – Paris : Flammarion, 1998. – 438 p. – (Nouvelle bibliothèque scientifique).
L’opportunité de cette publication est manifeste : si le lecteur francophone dispose de nombreuses histoires récentes de la cosmologie ou de la révolution galiléenne, il lui fallait, jusqu’à présent, recourir à La révolution astronomique de Koyré (1961) et à La révolution copernicienne de Th. S. Kuhn (1973) pour pouvoir s’enquérir de l’œuvre de Copernic. Il était donc temps qu’une nouvelle monographie soit consacrée spécifiquement à l’auteur de ce bouleversement cosmologique qui nous fit passer du géocentrisme à l’héliocentrisme. Encore faut‐il être averti du contenu réel du présent ouvrage et du public, somme toute assez spécifique, auquel il s’adresse, et ce en dépit de la généralité de son titre. En effet, la couverture de ce livre renseigne Copernic et la révolution copernicienne, tandis que sa page de garde indique Copernic et le mouvement de la Terre. L’éditeur semble avoir finalement retenu le premier titre, bien que ce soit le second qui, à notre avis, exprime le mieux le contenu de l’ouvrage. Il s’agit effectivement, après une « ouverture thématique » basée sur le Commentariolus et sur la Lettre au Pape, d’une étude extrêmement détaillée des quatre mouvements de la Terre (rotation, révolution, précession et mouvement en déclinaison), menée selon l’exposé qu’en fait le De revolutionibus (l’auteur insiste en particulier sur le fait qu’il ne s’est pas arrêté à la lecture du seul livre I, mais qu’il a également étudié « ceux que personne n’a lus », c’est-à-dire les cinq autres, qui sont nettement plus techniques). Notons que cette « lecture commentée » de l’œuvre magistrale de l’astronome polonais n’est ni historique, ni littéraire, ni philologique, mais avant tout astronomique et philosophique. Il en résulte que cet ouvrage, d’un abord difficile et requérant de véritables connaissances en astronomie, ne sera pleinement apprécié que par ceux qui, comme son auteur, sont, à la fois, mathématiciens et philosophes. Pour prévenir encore plus clairement toute déconvenue, précisons que le lecteur devra savoir jongler avec les « équants », les « déférents », les « élongations » et autres « anomalies » et qu’il aura intérêt à ne pas être rebuté par une écriture « philosophique ». Ces précisions et restrictions apportées, évoquons les richesses de ce travail.
Convenons que la situation de Copernic est pour le moins malaisée : chacun voudrait avoir une preuve de ce mouvement de la Terre qu’il revendique et lui‐même se ferait certainement une joie de répondre à une demande aussi naturelle. Malheureusement, il est dans la nature de ce mouvement de ne pas se révéler. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a pu, si longtemps, rester caché. Aussi ce n’est qu’indirectement que notre astronome polonais pourra argumenter en faveur de ce mouvement, en faisant ressortir la puissance explicative, ordonnatrice et unificatrice que recèle sa théorie. Encore faut‐il au préalable admettre, ou du moins envisager, cette hypothèse du mouvement de la Terre. Or précisément, tout nous en détourne : tous, ne savons‐nous pas que la Terre est immobile ? N’est-il pas absurde, pour chacun d’entre-nous, qu’on puisse supposer son mouvement autour du Soleil ? La sédimentation des savoirs autour de la thèse de l’immobilité de la Terre est telle que notre chanoine devra d’abord s’atteler à rendre simplement pensable son mouvement. Il le fera en se plaçant sur le terrain même de ceux qu’il doit amener à envisager comme pensable, voire comme possible, un tel mouvement. De cet aristotélisme dont il reste lui‐même souvent tributaire, il reprendra donc maints concepts et arguments, mais en les déformant et en les tournant à son avantage, développant ainsi une argumentation rhétorique dont l’A. déconstruit habilement les rouages : rendre pensable, puis acceptable ce mouvement par une rhétorique de la réfutation des thèses adverses (essentiellement physiques), pour enfin pratiquer « une démonstration par la réussite », en faisant voir tout ce que l’hypothèse copernicienne permet d’expliquer (essentiellement sur le terrain de l’astronomie cette fois), non sans avoir expliqué pourquoi, précisément, ce mouvement ne saurait être directement perçu. Cette analyse de la stratégie copernicienne aide également à comprendre en quoi la « mise en évidence » du seul mouvement de rotation de notre planète fut en réalité l’étape décisive qui permit ensuite d’attribuer un tel mouvement aux orbes planétaires, pour finalement revenir à la Terre en lui assignant également, via son orbe, un tel mouvement qui, en l’occurrence, devient son mouvement de révolution autour du Soleil. Tout en respectant le principe canonique de mouvement circulaire uniforme, Copernic arrive finalement à restituer un ordre définitif dans l’univers, par exemple en reliant directement la grandeur des orbes à la grandeur des temps au sein d’une progression continue. Sur cette base, il pourra arguer que son hypothèse est plus simple et plus naturelle que celle de ses adversaires. Il ne sera plus, alors, perçu comme un réformateur traînant dans sa besace une thèse absurde et déstabilisatrice, mais il pourra se présenter comme ce restaurateur de l’astronomie qui, mieux que l’aristotélisme, aura réalisé le dessein de l’astronomie antique.
L’A. termine cette remarquable lecture du De revolutionibus en soulignant la portée proprement philosophique de la révolution copernicienne qui réside, selon lui, dans une nouvelle conception de la catégorie d’apparence. En effet, alors que le géocentrisme confond la place que nous occupons avec la perception que nous avons, l’héliocentrisme, pour respecter le principe physique de rotation uniforme et l’apparence de rotation non uniforme, se doit d’excentrer l’observateur terrestre. Ce faisant, il nous instruit que la position réelle qui est la nôtre (je suis sur une Terre en mouvement) est tout à fait autre que celle que, précisément, elle nous fait croire que nous tenons (tout indique, indubitablement, que je suis, immobile, au centre du Monde). L’héliocentrisme suppose ainsi de l’observateur sa mise à distance, son extériorité par rapport au ballet cosmique : il peut s’observer croyant le Soleil en mouvement autour de lui, tout comme il peut se regarder évoluant sur une planète analogue aux autres. Alors que l’observateur ptoléméen sait, certes, qu’il ne peut pas croire spontanément à tout ce qu’il voit, mais croit en tout cas que la place qu’il occupe explique ce qu’il voit et aussi ce qui est, l’observateur copernicien a donc appris que l’apparence est construite en fonction de la manière dont il est situé, ce qui le conduit à se voir en train de voir.
Au final, il s’agit donc d’un véritable travail de recherche sans équivalent. Aussi nous nous réjouissons par avance de pouvoir lire les ouvrages que l’auteur annonce sur des thèmes connexes (La Terre immobile et La double postérité de Copernic), surtout si ceux‐ci prennent davantage soin du lecteur en facilitant quelque peu sa lecture (l’ouvrage est, nous l’avons dit, difficile), en paginant les innombrables renvois internes (qui, ici, se limitent trop souvent à de simples « infra » et « supra »), et en lui fournissant les références précises des textes et travaux cités et/ou mentionnés. En dépit de ces quelques regrets, ce livre fait encore plus désirer la traduction française du De revolutionibus que prépare une équipe du C.N.R.S et qui, enfin, viendra remplacer la traduction, partielle et fautive, qu’A. Koyré avait fait paraître en 1934.
Convenons que la situation de Copernic est pour le moins malaisée : chacun voudrait avoir une preuve de ce mouvement de la Terre qu’il revendique et lui‐même se ferait certainement une joie de répondre à une demande aussi naturelle. Malheureusement, il est dans la nature de ce mouvement de ne pas se révéler. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a pu, si longtemps, rester caché. Aussi ce n’est qu’indirectement que notre astronome polonais pourra argumenter en faveur de ce mouvement, en faisant ressortir la puissance explicative, ordonnatrice et unificatrice que recèle sa théorie. Encore faut‐il au préalable admettre, ou du moins envisager, cette hypothèse du mouvement de la Terre. Or précisément, tout nous en détourne : tous, ne savons‐nous pas que la Terre est immobile ? N’est-il pas absurde, pour chacun d’entre-nous, qu’on puisse supposer son mouvement autour du Soleil ? La sédimentation des savoirs autour de la thèse de l’immobilité de la Terre est telle que notre chanoine devra d’abord s’atteler à rendre simplement pensable son mouvement. Il le fera en se plaçant sur le terrain même de ceux qu’il doit amener à envisager comme pensable, voire comme possible, un tel mouvement. De cet aristotélisme dont il reste lui‐même souvent tributaire, il reprendra donc maints concepts et arguments, mais en les déformant et en les tournant à son avantage, développant ainsi une argumentation rhétorique dont l’A. déconstruit habilement les rouages : rendre pensable, puis acceptable ce mouvement par une rhétorique de la réfutation des thèses adverses (essentiellement physiques), pour enfin pratiquer « une démonstration par la réussite », en faisant voir tout ce que l’hypothèse copernicienne permet d’expliquer (essentiellement sur le terrain de l’astronomie cette fois), non sans avoir expliqué pourquoi, précisément, ce mouvement ne saurait être directement perçu. Cette analyse de la stratégie copernicienne aide également à comprendre en quoi la « mise en évidence » du seul mouvement de rotation de notre planète fut en réalité l’étape décisive qui permit ensuite d’attribuer un tel mouvement aux orbes planétaires, pour finalement revenir à la Terre en lui assignant également, via son orbe, un tel mouvement qui, en l’occurrence, devient son mouvement de révolution autour du Soleil. Tout en respectant le principe canonique de mouvement circulaire uniforme, Copernic arrive finalement à restituer un ordre définitif dans l’univers, par exemple en reliant directement la grandeur des orbes à la grandeur des temps au sein d’une progression continue. Sur cette base, il pourra arguer que son hypothèse est plus simple et plus naturelle que celle de ses adversaires. Il ne sera plus, alors, perçu comme un réformateur traînant dans sa besace une thèse absurde et déstabilisatrice, mais il pourra se présenter comme ce restaurateur de l’astronomie qui, mieux que l’aristotélisme, aura réalisé le dessein de l’astronomie antique.
L’A. termine cette remarquable lecture du De revolutionibus en soulignant la portée proprement philosophique de la révolution copernicienne qui réside, selon lui, dans une nouvelle conception de la catégorie d’apparence. En effet, alors que le géocentrisme confond la place que nous occupons avec la perception que nous avons, l’héliocentrisme, pour respecter le principe physique de rotation uniforme et l’apparence de rotation non uniforme, se doit d’excentrer l’observateur terrestre. Ce faisant, il nous instruit que la position réelle qui est la nôtre (je suis sur une Terre en mouvement) est tout à fait autre que celle que, précisément, elle nous fait croire que nous tenons (tout indique, indubitablement, que je suis, immobile, au centre du Monde). L’héliocentrisme suppose ainsi de l’observateur sa mise à distance, son extériorité par rapport au ballet cosmique : il peut s’observer croyant le Soleil en mouvement autour de lui, tout comme il peut se regarder évoluant sur une planète analogue aux autres. Alors que l’observateur ptoléméen sait, certes, qu’il ne peut pas croire spontanément à tout ce qu’il voit, mais croit en tout cas que la place qu’il occupe explique ce qu’il voit et aussi ce qui est, l’observateur copernicien a donc appris que l’apparence est construite en fonction de la manière dont il est situé, ce qui le conduit à se voir en train de voir.
Au final, il s’agit donc d’un véritable travail de recherche sans équivalent. Aussi nous nous réjouissons par avance de pouvoir lire les ouvrages que l’auteur annonce sur des thèmes connexes (La Terre immobile et La double postérité de Copernic), surtout si ceux‐ci prennent davantage soin du lecteur en facilitant quelque peu sa lecture (l’ouvrage est, nous l’avons dit, difficile), en paginant les innombrables renvois internes (qui, ici, se limitent trop souvent à de simples « infra » et « supra »), et en lui fournissant les références précises des textes et travaux cités et/ou mentionnés. En dépit de ces quelques regrets, ce livre fait encore plus désirer la traduction française du De revolutionibus que prépare une équipe du C.N.R.S et qui, enfin, viendra remplacer la traduction, partielle et fautive, qu’A. Koyré avait fait paraître en 1934.
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Mots clés
Révolution copernicienne
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