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Pietro Daniel Omodeo

Copernicus in the Cultural Debates of the Renaissance

Reception, Legacy, Transformation

Omo­deo (Pie­tro Daniel), Coper­ni­cus in the Cultu­ral Debates of the Renais­sance : Recep­tion, Lega­cy, Trans­for­ma­tion. – Lei­den ; Bos­ton : Brill, 2014. – xiii, 433 p. – (His­to­ry of Science and Medi­cine Libra­ry ; 45 : Medie­val and Ear­ly Modern Science ; 23).

Se don­nant pour objec­tif de retra­cer la récep­tion, l’influence et même la trans­for­ma­tion de la pen­sée coper­ni­cienne depuis la pre­mière preuve mani­feste de sa cir­cu­la­tion en 1514 jusqu’à la condam­na­tion du sys­tème hélio­cen­trique par l’Église catho­lique en 1616, cet ouvrage est par­ti­cu­liè­re­ment atten­tif à res­ter au plus près des docu­ments ori­gi­naux et à prendre en compte l’entrelacement des dif­fé­rentes formes de savoirs (science, mathé­ma­tique, phi­lo­so­phie, théo­lo­gie, culture…). À l’opposé des recons­ti­tu­tions his­to­rio­gra­phiques qui uni­fient arti­fi­ciel­le­ment l’histoire, il veille éga­le­ment à res­pec­ter sa com­plexi­té, afin de pou­voir davan­tage mani­fes­ter la richesse intrin­sèque de la pen­sée coper­ni­cienne par la varié­té foi­son­nante des inter­pré­ta­tions, dis­cus­sions et consé­quences qui en ont été tirées.

Après un pre­mier cha­pitre, assu­ré­ment utile, mais un peu fas­ti­dieux, qui pré­sente, en guise de pré­li­mi­naire, les prin­ci­paux acteurs, envi­ron­ne­ments et réseaux de cette pre­mière récep­tion de Coper­nic, l’auteur pose la ques­tion du sta­tut épis­té­mo­lo­gique de l’astronomie par rap­port à celui des autres dis­ci­plines, ce qui, en l’occurrence, revient essen­tiel­le­ment à s’interroger sur les rela­tions entre astro­no­mie mathé­ma­tique et astro­no­mie phy­sique. Fai­sons d’emblée remar­quer que presque tous les cha­pitres débutent par l’évocation d’une thèse his­to­rio­gra­phique qui, à défaut d’être rigou­reu­se­ment exa­mi­née, sert de fil conduc­teur ou du moins de point de départ pour ledit cha­pitre. En l’occurrence, c’est la thèse pré­sen­tée par P. Duhem dans son célèbre Sau­ver les phé­no­mènes qui est ici prise pour cible. De ce cha­pitre, il résulte 1°) que la majo­ri­té des per­sonnes pré­oc­cu­pées par la science des astres a sou­hai­té (contre Duhem) relier les hypo­thèses astro­no­miques à la phy­sique, mais qu’un désac­cord a sur­gi entre eux lorsqu’il a fal­lu pré­ci­ser les exi­gences phy­siques à res­pec­ter (confor­mé­ment, cette fois, au récit duhé­mien bien que l’auteur ne le signale pas) ; 2°) que les seules per­sonnes à avoir endos­sé la pos­ture épis­té­mo­lo­gique recom­man­dée par Duhem étaient non pas des mathé­ma­ti­ciens ou des astro­nomes, mais bien un théo­lo­gien et un phi­lo­sophe (en l’occurrence A. Osian­der et P. de la Ramée) ; 3°) que la récep­tion divi­sée de Coper­nic qui a résul­té de ce conflit entre astro­no­mie mathé­ma­tique et astro­no­mie phy­sique a pris fin avec la reven­di­ca­tion gali­léenne de la por­tée véri­ta­ble­ment cos­mo­lo­gique de l’œuvre copernicienne.

Le cha­pitre sui­vant s’inscrit dans le pro­lon­ge­ment de la même reven­di­ca­tion : au lieu d’être de simples cal­cu­la­teurs tota­le­ment indif­fé­rents aux ques­tions de cos­mo­lo­gie et de phi­lo­so­phie natu­relle, tous les com­pi­la­teurs « coper­ni­ciens » de tables et d’éphémérides, à défaut de par­ta­ger les mêmes opi­nions sur le mou­ve­ment de la Terre et sur l’héliocentrisme, se sont du moins pré­oc­cu­pés de telles ques­tions, de sorte que leur tra­vail, inti­me­ment connec­té à la pra­tique astro­lo­gique, a joué un rôle impor­tant dans la récep­tion de l’hypothèse copernicienne.

Si Coper­nic lui‐même n’a pas expli­ci­te­ment affir­mé l’infinité du monde, son hypo­thèse a néan­moins remis à l’avant de la scène la ques­tion de ses dimen­sions et de son éven­tuelle infi­ni­té, ce qui a conduit les savants de la Renais­sance à retrou­ver et à rééla­bo­rer, à la lumière de la nou­velle astro­no­mie, ces alter­na­tives au cos­mos néces­sai­re­ment clos du Sta­gi­rite que sont non seule­ment les visions « pytha­go­ri­cienne », « stoï­cienne » et « ato­miste » du monde, mais éga­le­ment celle, bien plus récente, du Cusain. Par­mi ces visions, nous épin­gle­rons plus par­ti­cu­liè­re­ment la concep­tion stoï­cienne en ce qu’elle per­met, tel un com­pro­mis, de main­te­nir un monde cen­tré et fini au sein d’un espace infi­ni. Au sein de ce cha­pitre, qui débute inévi­ta­ble­ment par Nico­las de Cuse dont la concep­tion (très clai­re­ment syn­thé­ti­sée) doit d’autant plus rete­nir l’attention qu’elle a été for­te­ment rap­pro­chée de celle de Coper­nic, les prin­ci­paux auteurs étu­diés sont Th. Digges et son célèbre dia­gramme des orbes pla­né­taires, l’incontournable G. Bru­no et enfin J. Kepler dans la mesure où ce der­nier a essayé de main­te­nir dis­tincts l’héliocentrisme et l’infinitisme. Comme tou­jours — et c’est l’une des richesses de ce livre — d’autres figures aux­quelles on son­ge­rait moins immé­dia­te­ment sont étu­diées, en l’occurrence G. B. Bene­det­ti et M. Pegel. Contre la vision sim­pliste d’un pas­sage linéaire d’un monde clos à un uni­vers infi­ni que pour­rait sus­ci­ter le titre du maître‐ouvrage d’A. Koy­ré, ce cha­pitre fait res­sor­tir la diver­si­té des concep­tions de l’espace qui, durant cette époque, ont été dis­cu­tées. Cette diver­si­té s’avère d’autant plus impor­tante que Coper­nic n’a impo­sé aucune solu­tion à cette ques­tion, de sorte que toutes pou­vaient être légi­ti­me­ment avan­cées, à savoir des points de vue fini­tiste ou infi­ni­tiste plus ou moins pana­chés de pytha­go­risme, d’atomisme, de stoï­cisme ou même de cusanisme.

Quels sont les liens his­to­riques entre astro­no­mie et méca­nique ? Les réponses dif­fé­rentes d’E. Mach et d’A. Koy­ré pré­sen­tant toutes les deux des lacunes, le cha­pitre 5 reprend la ques­tion, notam­ment illus­trée par la célèbre méta­phore du navire, du pro­blème phy­sique posé par le mou­ve­ment ter­restre en se pro­po­sant de conci­lier, pour mieux sur­mon­ter leurs dif­fi­cul­tés intrin­sèques, les récits des deux com­men­ta­teurs susmentionnés.

Par­ti­sans l’un et l’autre du sys­tème hélio­cen­trique, Kepler et Gali­lée sont par­ve­nus à ce résul­tat com­mun à par­tir de concep­tions radi­ca­le­ment diver­gentes de la science : convain­cu de la per­ti­nence de l’approche pytha­go­ri­cienne du cos­mos et per­sua­dé de l’existence d’un plan divin ayant déter­mi­né l’ordre et le nombre des orbites pla­né­taires, l’auteur du Mys­te­rium cos­mo­gra­phi­cum a esti­mé, sans pour autant mépri­ser les don­nées empi­riques, que le sys­tème hélio­cen­trique devait être démon­trable a prio­ri et s’est fait une véri­table fier­té d’y être par­ve­nu ; com­plè­te­ment libé­ré de toute croyance ani­miste, astro­lo­gique ou numé­ro­lo­gique, l’auteur du Side­reus nun­cius a œuvré, lui, a pos­te­rio­ri comme en témoignent ses décou­vertes « téles­co­piques ». La com­pa­rai­son de ces deux épis­té­mo­lo­gies de la science consti­tue le sujet, guère ori­gi­nal, du cha­pitre 6.

Puisque l’ouvrage a choi­si pour date butoir l’année 1616 qui marque une frac­ture évi­dente au sein de l’histoire de la récep­tion du coper­ni­ca­nisme, le cha­pitre 7 est natu­rel­le­ment consa­cré au conflit oppo­sant les par­ti­sans de la nou­velle astro­no­mie aux théo­lo­giens tant catho­liques que pro­tes­tants. Depuis Luther jusqu’à Cam­pa­nel­la en pas­sant par G. J. Rhe­ti­cus, J. Kepler, G. Bru­no, R. Bel­lar­min et Gali­lée, il passe en revue les posi­tions des uns et des autres, tout en réser­vant une place à des auteurs moins for­cé­ment connus dans ce contexte tels que B. Spi­na, Ch. Roth­mann ou D. Ori­ga­nus. Il en résulte, d’une part, qu’entre une accep­ta­tion réa­liste du sys­tème coper­ni­cien et un res­pect de la reli­gion chré­tienne, seul G. Bru­no a fina­le­ment opté pour la pre­mière option au détri­ment de la seconde et, d’autre part, que si les par­ti­sans de l’héliocentrisme ont natu­rel­le­ment sou­te­nu la thèse de l’accommodation de la Bible au lan­gage par­lé ordi­naire, tous — et pas seule­ment Gali­lée ! — ont éga­le­ment été ten­tés — quitte à entrer en contra­dic­tion avec la thèse qu’ils venaient pour­tant de reven­di­quer ! — de sou­te­nir l’hypothèse coper­ni­cienne à l’aide des Saintes Écritures !

Étant don­né l’interconnexion mil­lé­naire entre cos­mo­lo­gie et éthique — si bien mise en lumière par le maître‐ouvrage La sagesse du monde (1999) de R. Brague que l’auteur ne semble pas connaître —, le der­nier cha­pitre est fort heu­reu­se­ment consa­cré à la ques­tion (car c’est véri­ta­ble­ment une ques­tion encore dis­pu­tée) des réper­cus­sions éthiques et anthro­po­lo­giques de la révo­lu­tion coper­ni­cienne. Mal­heu­reu­se­ment, faute de connaître les tra­vaux des spé­cia­listes sur le sujet — seul l’article The Great Coper­ni­can Cli­ché de D. Daniel­son est men­tion­né, alors que l’étude de R. Brague sur Le géo­cen­trisme comme humi­lia­tion de l’homme (1990) est incon­tour­nable (pour ne rien dire de nos propres recherches menées depuis 1998) —, l’auteur consacre, de manière conve­nue, presque l’entièreté de son cha­pitre, par­ti­cu­liè­re­ment décou­su, à G. Bru­no, soit à l’esprit le moins révé­la­teur des men­ta­li­tés de son époque (même si sa doc­trine en la matière, nous informe l’auteur, a exer­cé une influence sur A. von Fran­cken­berg et N. Hill). En revanche, les quelques pages qui s’interrogent sur ce qu’est deve­nu le mythe de Phaé­thon — ce fils d’Hélios mort fou­droyé pour avoir per­du le contrôle du char solaire de son père — suite à l’immobilisation de l’astre du jour par l’astronome polo­nais sont par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­santes, bien qu’insuffisamment exploitées.

On fera remar­quer, sans sur­prise, que cet ouvrage — dont le sta­tut n’est fina­le­ment pas très clair : il s’apparente plus, dans son conte­nu, à un dic­tion­naire ou à une ency­clo­pé­die qu’à un recueil d’études thé­ma­tiques, et davan­tage à un tel recueil qu’à une véri­table mono­gra­phie — se ter­mine sans conclusion.

Au terme de notre lec­ture, il nous semble que l’appréciation que l’on por­te­ra sur ce tra­vail est, plus que jamais, fonc­tion de l’importance plus ou moins grande que l’on accorde à l’un ou à l’autre cri­tère : le lec­teur qui pense qu’un ensemble de faits, aus­si pré­cis et aus­si éru­dit soit‐il, ne suf­fit pas à faire une his­toire, qui affec­tionne par‐dessus tout la force et l’originalité d’une pen­sée lon­gue­ment mûrie, qui appré­cie la capa­ci­té à poser une ques­tion et à la résoudre, sans jamais s’en écar­ter, au terme d’un rai­son­ne­ment ser­ré et d’une confron­ta­tion poin­tue avec la lit­té­ra­ture, ce lecteur‐là sera pro­ba­ble­ment déçu. En revanche, celui qui pri­vi­lé­gie la qua­li­té, la sûre­té et la den­si­té des infor­ma­tions, qui recherche sur­tout l’évocation d’auteurs négli­gés au sein des his­toires tra­di­tion­nelles de la cos­mo­lo­gie et qui goûte avant tout un expo­sé très des­crip­tif et très fac­tuel sera, lui, com­blé. Quoi qu’il en soit des appré­cia­tions de cha­cun, tous convien­dront de la masse de tra­vail requise en vue de la rédac­tion de ce livre !