Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de D. Lam­bert & J. Reisse, « Charles Dar­win et Georges Lemaître, une impro­bable mais pas­sion­nante ren­contre », in Stu­dium : revue d’histoire des sciences et des uni­ver­si­tés, vol. 3, 2010, n°1, pp. 51 – 52. 

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Dominique Lambert – Jacques Reisse

Charles Darwin et Georges Lemaître, une impro­bable mais passionnante rencontre 

Lam­bert (Domi­nique) – Reisse (Jacques), Charles Dar­win et Georges Lemaître, une impro­bable mais pas­sion­nante ren­contre. – Bruxelles : Aca­dé­mie royale de Bel­gique, 2008. – 288 p. – (Mémoire de la Classe des sciences ; col­lec­tion in‑8°, 3e série, t. 30, n°2057).

Dar­win et Lemaître ont pour point com­mun essen­tiel d’avoir trai­té de ques­tions à ce point fon­da­men­tales — l’origine des espèces pour le pre­mier, l’origine de l’univers pour le second — que la pen­sée humaine, ne pou­vant attendre que la science soit en mesure d’y appor­ter des réponses, s’est au préa­lable tour­né vers les mythes ou les textes reli­gieux pour assou­vir son besoin de com­pré­hen­sion. Lorsqu’enfin la science a été capable de s’emparer de ces ques­tions, les élé­ments de réponse appor­tés par ces deux scien­ti­fiques ont inévi­ta­ble­ment été mis, bien que tel ne fut assu­ré­ment pas leur sou­hait, en confronta­tion avec les réponses anté­rieures. Certes, cette com­pa­rai­son avec le texte biblique tout à fait indue sem­blait, dans le cas de Dar­win, conduire à une dis­cor­dance, alors que, dans le cas de Lemaître, c’est au contraire une concor­dance qui parais­sait s’établir. Il n’empêche, et c’est l’un des inté­rêts de cet ouvrage de le mon­trer, une telle dis­cor­dance ou une telle concor­dance est, dans les deux cas, néfaste aus­si bien pour la science que pour la théo­lo­gie et éga­le­ment embar­ras­sante pour les scien­ti­fiques concer­nés. Aus­si Dar­win et Lemaître, confron­tés par deux ver­sants oppo­sés à un pro­blème iden­tique, ont‐ils dû éla­bo­rer des stra­té­gies per­son­nelles pour le résoudre. Faire se ren­con­trer deux scien­ti­fiques aus­si dif­férents pré­sente alors l’intérêt de com­pa­rer la manière dont l’un et l’autre ont réglé cette déli­cate situa­tion, afin de pou­voir en déga­ger des points com­muns qui puis­sent, encore aujourd’hui, nous ser­vir de leçon.

Dans un style clair et agréable, l’exposé, acces­sible et péda­go­gique, de J. Reisse s’ouvre par une revue des fixistes et des trans­for­mistes du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Ayant pris acte, à cette occa­sion, de l’existence de remises en ques­tion du fixisme anté­rieures à Dar­win, il se pour­suit par une bio­gra­phie de ce der­nier qui cherche dès lors à iden­ti­fier en quoi son œuvre est nova­trice. Après une annexe consa­crée à A. R. Wal­lace, l’exposé s’achève, un peu bru­ta­le­ment, au terme d’un résu­mé des 15 cha­pitres, pas­sés en revue l’un après l’autre, de L’origine des espèces.

Certes, au fil de ces pages, le lec­teur aura gla­né, çà et là, de pré­cieuses indi­ca­tions sur la stra­té­gie mise en œuvre par Dar­win pour faire accep­ter sa théo­rie mal­gré la discor­dance évo­quée et pour « gérer », aus­si bien per­son­nel­le­ment que socia­le­ment, cette dis­cordance. Mais il regret­te­ra peut‐être l’absence d’une reprise syn­thé­tique et cohé­rente de tous ces élé­ments effec­tuée avant qu’il ne soit invi­té à repé­rer, in fine, les conver­gences qui existent entre le célèbre his­to­rien de la vie et le non moins célèbre his­to­rien de l’uni­vers. Pour notre part, nous nous per­met­trons de déplo­rer l’absence, pour les cita­tions, de réfé­rences dignes de ce nom. Quoi qu’il en soit, la contri­bu­tion de J. Reisse ren­dra sûre­ment service.

Expo­sant le fruit des recherches per­son­nelles qu’il mène depuis plus de quinze ans, tout à fait à l’aise pour trai­ter la pro­blé­ma­tique à l’origine de ce livre, D. Lam­bert, qui a désor­mais atteint une grande finesse dans sa com­pré­hen­sion et dans son ana­lyse de G. Lemaître, met en œuvre, dans sa contri­bu­tion, une véri­table « archéo­lo­gie du savoir » (p. 199). Au lieu de se cen­trer sur les « pro­duits finis » (les articles ou les livres tels qu’ils sont publiés), il cherche donc à recons­ti­tuer le che­mi­ne­ment intel­lec­tuel — néces­sai­re­ment hé­sitant et tor­tueux, sou­vent dérou­tant — qui a per­mis la « décou­verte », même si celle‐ci, en fin de compte, n’en porte plus aucune trace. Une telle manière de pro­cé­der est parfaite­ment en adé­qua­tion avec la pro­blé­ma­tique rete­nue, puisqu’elle per­met de mettre au jour les « écha­fau­dages » (pp. 193 – 194), pro­vi­soires et par­fois insoup­çon­nés, qui ont gui­dé et sou­te­nu le savant dans son intui­tion. Ain­si en va‐t‐il d’un court manus­crit inti­tu­lé Les trois pre­mières paroles de Dieu rédi­gé par Lemaître durant la guerre 1914 – 1918 et qui opère, guère loin d’une pos­ture concor­diste, une exé­gèse sym­bo­lique des pre­miers cha­pitres de la Genèse. L’un des points forts de la pré­sente étude est de révé­ler toute l’importance de ce texte, qui n’empêchera nul­le­ment Lemaître d’évoluer, fort heu­reu­se­ment, vers une nette affir­ma­tion de la dif­fé­rence de niveau des dis­cours scien­ti­fiques et reli­gieux ni sa cos­mo­lo­gie d’acquérir une consis­tance et une auto­no­mie pro­pre­ment scien­ti­fiques. La se­conde ori­gi­na­li­té de cette étude réside dans la mise en évi­dence de la triple influence phi­losophique qui s’est exer­cée sur Lemaître : le néo‐thomisme, assu­ré­ment pré­cieux pour dis­tin­guer les concepts de « com­men­ce­ment » et de « créa­tion », Blaise Pas­cal et Fer­di­nand Gon­seth. Influence hété­ro­clite, pourrait‐on croire, mais dont D. Lam­bert par­vient, jusqu’à un cer­tain point, à mon­trer la cohérence.