Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de R. Buo­nan­no, « The Stars of Gali­leo Gali­lei and the Uni­ver­sal Know­ledge of Atha­na­sius Kir­cher », in Revue d’histoire ecclé­sias­tique, vol. 109, 2014, n°3 – 4, pp. 1076 – 1078.

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Roberto Buonanno

The Stars of Galileo Galilei and the Universal Knowledge of Athanasius Kircher

Buo­nan­no (Rober­to), The Stars of Gali­leo Gali­lei and the Uni­ver­sal Know­ledge of Atha­na­sius Kir­cher / trans­la­tion by Rober­to Buo­nan­no and Giu­lia­na Giob­bi. – Hei­del­berg ; New York ; Dor­drecht : Sprin­ger Inter­na­tio­nal Publi­shing, 2014. – xiii, 178 p. – (Astro­phy­sics and Space Science Libra­ry ; 399). 28 illus. coul. — ISBN 978−3−319−00299−6 — 105,99 € — 15,5 × 23,5.

Réso­lu­ment et volon­tai­re­ment en retard sur son époque, le R.P. Atha­na­sius Kir­cher (1602−1680) est assu­ré­ment, par cet ana­chro­nisme même, un per­son­nage hors norme qui sus­ci­ta autant de fas­ci­na­tion que de sar­casmes. Poly­glotte de haut vol au savoir ency­clo­pé­dique, char­mé par l’hermétisme et tout ce qui est mys­té­rieux, obsé­dé par les col­lec­tions et les listes de tout ce que recèle la nature, met­teur en scène de spec­tacles baroques des­ti­nés à diver­tir et à émer­veiller, trop enthou­siaste pour prendre le temps d’être cri­tique, tou­jours pres­sé de se débar­ras­ser des pro­blèmes théo­riques et des ques­tions phi­lo­so­phiques sub­tiles, Kir­cher est, en plein XVIIe siècle, un esprit de la Renais­sance qui ne peut ni ne veut se résoudre à cette science gali­léenne et à ce méca­nisme car­té­sien qui réduisent le monde au pur quan­ti­ta­tif pour mieux le mathé­ma­ti­ser et le maî­tri­ser. Lui, il n’aime rien d’autre autant que la recherche de rela­tions et d’analogies au sein du monde créé. Et puis aus­si, ou peut‐être sur­tout, il est prêtre, et un prêtre qui entend bien ne pas sacri­fier les richesses mer­veilleuses et sur­pre­nantes de la Créa­tion au monde désor­mais sim­pli­fié que lui pro­pose la moder­ni­té ; un prêtre qui pré­fère dévoi­ler l’artifice secret, mais néan­moins pure­ment natu­rel, qui se cache der­rière ses tours plu­tôt que de lais­ser croire, comme d’autres qui en font pro­fes­sion, qu’il s’agit d’une sorte de magie ; un prêtre, enfin, qui ne déses­père pas, grâce à son déchif­fre­ment des hié­ro­glyphes, de pou­voir offrir un sup­port his­to­rique à l’aspiration uni­ver­selle de l’Église de Rome et à sa chro­no­lo­gie remise en cause par l’ancienneté de la civi­li­sa­tion chinoise.

On pour­rait s’étonner qu’en face de l’excentrique Kir­cher, l’A. ait dres­sé le très sobre — et très moderne — Gali­lée et non pas, par exemple, Kepler qui, lui, au moins, était en avance, mais aus­si, comme Kir­cher, en retard sur son époque. Grâce à la pré­sence de points com­muns plus nom­breux, la com­pa­rai­son aurait peut‐être été plus brillante. Ici, pour l’essentiel, elle se résume à dire, d’une part, que Gali­lée et Kir­cher, bien que par­tiel­le­ment contem­po­rains, incarnent l’un et l’autre deux mondes qui ne peuvent tout sim­ple­ment pas com­mu­ni­quer tant ils sont oppo­sés et, d’autre part, que Gali­lée veut com­prendre le monde quand Kir­cher veut étu­dier ces peuples anciens qui ont déjà com­pris le monde.

Dans le pre­mier cha­pitre, l’A. évoque la pas­sion de Kir­cher pour la culture égyp­tienne antique — qu’il croit être déri­vée d’Adam et conte­nir par consé­quent des véri­tés secrètes en attente d’un ini­tié qui pour­ra les déchif­frer — et son espoir de per­cer la clef de leurs hié­ro­glyphes par l’étude des obé­lisques. Un thème qui sera repris, de manière plus appro­fon­die, dans la seconde par­tie du cha­pitre 8, où l’on voit le savant fran­çais Nicolas‐Claude Fabri de Pei­resc faire tout ce qu’il peut pour faci­li­ter, accé­lé­rer et obte­nir le déchif­fre­ment des hié­ro­glyphes pro­mis par Kir­cher et ce der­nier faire tout ce qu’il est humai­ne­ment pos­sible pour se déro­ber à cette pro­messe infi­ni­ment retar­dée. Conju­guant sa pas­sion pour les hor­loges bota­niques hélio­tropes avec le magné­tisme consi­dé­ré comme la prin­ci­pale cause de l’harmonie dans l’univers, Kir­cher s’en tient néan­moins à un géo­sta­tisme strict (chap. 2). Les décou­vertes astro­no­miques de Gali­lée deviennent l’occasion de retra­cer l’histoire de la cos­mo­lo­gie géo­cen­trique et de son intro­duc­tion dans le monde chré­tien (chap. 3). Dans la conti­nui­té des obser­va­tions astro­no­miques dont il vient d’être ques­tion, l’A., se consa­crant cette fois à un sujet plus cir­cons­crit bien qu’un peu éloi­gné de Gali­lée et de Kir­cher, relate la bataille impi­toyable — mais pour nous savou­reuse — que se sont livrés deux construc­teurs romains de téles­copes et d’instruments d’optique, à savoir Eus­ta­chio Divi­ni et les frères Cam­pa­ni, bataille durant laquelle Divi­ni est bien embar­ras­sé d’avoir dû faire appel au jésuite Hono­ré Fabri pour faire res­sor­tir à Chris­tiaan Huy­gens la qua­li­té de ses des­sins de Saturne, et qui se ter­mine au pro­fit de Cam­pa­ni tout sim­ple­ment parce que Cas­si­ni, le célèbre direc­teur de l’Observatoire de Paris, a fait plu­sieurs décou­vertes astro­no­miques impor­tantes avec ses ins­tru­ments (chap. 4). Les recherches de Kir­cher sur la lumière n’ont pas, bien sûr, voca­tion à résoudre la ques­tion de sa nature (sub­stance ou acci­dent ?), mais bien à don­ner lieu, grâce à la chambre noire par exemple, à de beaux spec­tacles d’illusionnisme (chap. 5). La contro­verse entre Gali­lée et le jésuite Chris­toph Schei­ner menée à pro­pos de la décou­verte et de la nature des taches solaires donne, cette fois, l’opportunité à l’A. d’aborder le pro­cès de l’astronome flo­ren­tin (chap. 6). Invi­té, en 1640, à com­men­ter l’épisode biblique de l’Arche de Noé, Kir­cher ne retrouve pas seule­ment une ques­tion trai­tée par Gali­lée en 1612 — à savoir, la flot­tai­son des corps sur l’eau —, mais toute une série de pro­blèmes résul­tants de sa lec­ture lit­té­rale du texte en ques­tion : la géné­ra­tion spon­ta­née de cer­taines espèces ; l’existence pro­blé­ma­tique (pour sa vision sta­tique du monde) d’espèces aujourd’hui dis­pa­rues, mais qui seraient attes­tées par les fos­siles ; l’hypothèse des pré­ada­mites ; ou encore les cri­tères à uti­li­ser pour admettre, ou non, l’introduction d’une espèce ani­male dans l’Arche (chap. 7). Il est bien sûr impos­sible de par­ler de l’extravagant jésuite sans évo­quer son célèbre musée qui, véri­table reflet non seule­ment du théâtre de la nature, mais éga­le­ment de la per­son­na­li­té de Kir­cher lui‐même, était une des­ti­na­tion tra­di­tion­nelle pour ceux qui voya­geaient à Rome (chap. 8). Enfin, tirant par­ti d’une allu­sion dis­crète de Gali­lée, dans ses Dis­cor­si (1638), à ses Deux leçons sur l’Enfer de Dante (1588), l’ouvrage se ter­mine par l’étude gali­léenne de la struc­ture des mondes infer­naux et, à l’opposé, par le voyage céleste racon­té par Kir­cher dans son Iti­ne­ra­rium exs­ta­ti­cum (1656), un récit didac­tique qui témoigne de ce qu’un jésuite pou­vait écrire à cette époque en matière d’astronomie et de cos­mo­lo­gie (chap. 9).

Par cer­tains aspects, ce livre est lui‐même à l’image de Kir­cher : fai­sant fi de cer­taines conven­tions qui sont celles de la lit­té­ra­ture scien­ti­fique, il cherche moins à épui­ser métho­di­que­ment un thème (notre résu­mé l’atteste assez) qu’à dis­traire en se lais­sant aller à des digres­sions et des anec­dotes ; moins à démon­trer qu’à sug­gé­rer ; moins à expo­ser de façon sys­té­ma­tique qu’à ins­truire sans en avoir l’air. Aus­si n’avons-nous pas jugé utile de dis­cu­ter cer­tains de ses propos.