Livre ana­ly­sé

Réfé­rences

Stof­fel (Jean‐François), Compte ren­du de P.-N. Mayaud, « La condam­na­tion des livres coper­ni­ciens et sa révo­ca­tion à la lumière de docu­ments inédits des Congré­ga­tions de l’Index et de l’Inquisition », in Revue phi­lo­so­phique de Lou­vain, vol. 96, 1998, n°4, pp. 730 – 737. 

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Pierre‐Noël Mayaud

La condamnation des livres coperniciens et sa révocation à la lumière de documents inédits des Congrégations de l’Index et de l’Inquisition

Mayaud (Pierre‐Noël), La condam­na­tion des livres coper­ni­ciens et sa révo­ca­tion à la lumière de docu­ments inédits des Congré­ga­tions de l’Index et de l’Inquisition. – Roma : Edi­trice Pon­tificia Uni­ver­si­tà Gre­go­ria­na, 1997. – vii, 352 p. – (Mis­cel­la­nea his­to­riae pon­ti­fi­ciae ; 64). – Index.

« Si la condam­na­tion de Gali­lée a nuit à la science », écri­vait Pierre Duhem le 29 juillet 1916 à Anto­nio Fava­ro, « elle a nuit bien plus encore à l’Église, qui en fut la prin­ci­pale vic­time »1. Rome finit par en prendre conscience et déci­da cou­ra­geu­se­ment de faire toute la lumière sur ce dou­lou­reux dos­sier. Le pré­sent ouvrage, com­man­dé par le Car­di­nal Pou­pard, s’inscrit dans cette lignée.

Dans la pre­mière par­tie consa­crée à « la mise à l’Index », le Père Mayaud, après avoir rap­pe­lé l’origine de l’Index (I‑12
) et après avoir expo­sé le fonc­tion­ne­ment de la Congréga­tion de l’Index avant 1616 (I‑2) et à l’époque de la mise à l’index des livres coper­ni­ciens (I‑3), entre alors dans le vif du sujet (I‑4) en étu­diant non seule­ment le décret du 5 mars 1616 — qui pro­hibe l’ouvrage du Père carme Paul Antoine Fos­ca­ri­ni et sus­pend jusqu’à ce qu’ils soient cor­ri­gés ceux de Nico­las Coper­nic et de Die­go de Zúñi­ga et qui, plus généra­lement, condamne tous les livres ensei­gnant la mobi­li­té de la Terre et l’immobilité du So­leil (Libri omnes docentes) — et celui du 15 mai 1620 — qui opère l’emen­da­tio précédem­ment exi­gée du De revo­lu­tio­ni­bus —, mais aus­si le décret de 1619 qui, entre‐temps, pro­hibe de manière injus­ti­fiée l’Epi­tome astro­no­miæ Coper­ni­canæ de Jean Kepler
3. Son prin­ci­pal apport consiste ici, comme tout au long de l’ouvrage, dans la prise en compte des comptes ren­dus des séances de la Congré­ga­tion qui, jusqu’ici, étaient res­tés inédits.

Il en res­sort que c’est à la demande expresse du Pape que la Congré­ga­tion s’est pen­chée sur la pro­hi­bi­tion des livres coper­ni­ciens au cours d’une séance, fait excep­tion­nel, consa­crée à cette seule ques­tion. C’est encore à la demande du Sou­ve­rain Pon­tife que d’autres livres, sans lien avec la ques­tion coper­ni­cienne, seront inclus dans le même décret. Qui plus est, com­mente avec beau­coup de plau­si­bi­li­té le Père Mayaud, « ces livres dont le Pape a deman­dé hors séance qu’ils fussent ajou­tés sont para­doxa­le­ment trai­tés en pre­mier. Tout se passe comme si l’on n’avait pas vou­lu don­ner une impor­tance exces­sive à la pro­hibition des livres coper­ni­ciens en en fai­sant l’objet unique d’un Décret » (p. 49). Mais il est encore une autre carac­té­ris­tique qui dis­tingue en réa­li­té ce décret : l’explicitation tout à fait inha­bi­tuelle du motif de cette mise à l’Index. Aus­si « la demande expresse du Pape de joindre quelques autres livres aux ouvrages coper­ni­ciens pou­vait avoir pour but d’atté­nuer ce qui était une mesure abso­lu­ment excep­tion­nelle parce qu’elle concer­nait une prise de posi­tion vis à vis d’une réa­li­té natu­relle, à savoir ce qu’était le sys­tème du monde. Mais le fait que l’on se soit sen­ti contraint en quelque sorte d’en don­ner la jus­ti­fi­ca­tion, à savoir l’opposition à l’Écriture, a conduit à un type de docu­ment lui‐même excep­tion­nel et par sa struc­ture en deux par­ties et par l’exposition du motif, et on peut se deman­der si, en fait, le but recher­ché a été atteint » (p. 54).

Concer­nant le pro­ces­sus de cor­rec­tion du
De revo­lu­tio­ni­bus qui condui­ra au décret de 1620, le Père Mayaud publie entre autres (pp. 71 – 72) le rap­port qu’avait pré­pa­ré à cette fin Ingo­li. Celui‐ci s’articule en trois temps : 1) l’ouvrage de Coper­nic doit être conser­vé, car il est rem­plit d’observations — ce qui est pour le moins erro­né — et nous avons besoin de ces obser­va­tions pour l’établissement du calen­drier ; 2) l’émendation ne peut être faite en posant l’immobilité de la Terre, car si on sup­prime ce prin­cipe, cette émen­da­tion ne serait plus une cor­rec­tion, mais une des­truc­tion totale de l’ouvrage de Coper­nic — obser­vation très juste — ; 3) il faut donc choi­sir une voie moyenne en cor­ri­geant seule­ment les pas­sages où l’astronome semble par­ler du mou­ve­ment de la Terre non pas hypothétique­ment, mais selon la réa­li­té et ce fai­sant, on ne por­te­ra pré­ju­dice ni à la véri­té ni à l’Écriture, car la méthode de l’astronomie est « d’utiliser des prin­cipes faux pour sau­ver les appa­rences » (!). Ce texte aurait peut‐être méri­té davan­tage de com­men­taires, sur­tout en ce qui concerne la jus­ti­fi­ca­tion métho­do­lo­gique que donne Ingo­li à la fin de sa troi­sième re­marque. En revanche, le Père Mayaud montre bien à quel point la cor­rec­tion, çà et là, de quelques pas­sages mani­fes­te­ment trop réa­listes ne pou­vait suf­fire à cacher l’ambition pro­fon­dé­ment réa­liste de l’ensemble du De revo­lu­tio­ni­bus. En ce sens, comme le pressen­tait Ingo­li, l’emen­da­tio requise, à moins de virer vers la des­truc­tion totale, était véritable­ment tout bon­ne­ment impossible.

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La deuxième par­tie, consa­crée à « la période inter­mé­diaire », s’ouvre par l’étude — somme toute assez acces­soire — d’un cas par­ti­cu­lier de retrait de l’Index : celui de Campa­nella (II‑1). Il s’agit ici pour l’A. d’examiner le mode selon lequel s’opère un tel retrait, en l’occurrence la sup­pres­sion pure et simple sans aucune men­tion expli­cite du fait. Cette manière de pro­cé­der n’est évi­dem­ment pas très satis­fai­sante, car elle intro­duit une dispa­rité entre la publi­ci­té de la condam­na­tion et la dis­cré­tion de son retrait, mais visi­ble­ment Rome n’avait pas trou­vé d’autres solu­tions. Du reste, comme nous le ver­rons dans la troi­sième par­tie, les auteurs qui ont béné­fi­cié d’un tel retrait « silen­cieux » seraient bien mal ins­pi­ré de se plaindre lorsque l’on sait que les auteurs nom­mé­ment visés par le décret de 1616 devront attendre près de 80 ans entre la prise de déci­sion de ce retrait… et sa réali­sation ! L’A. exa­mine ensuite rapi­de­ment d’autres mises à l’index de livres coper­ni­ciens (II‑2), dont le Dia­lo­go de Gali­lée qui, ayant été publié avec un double impri­ma­tur, devait de ce fait être frap­pé par une pro­hi­bi­tion spé­ci­fique. Cette deuxième par­tie, un peu dispa­rate, se ter­mine par l’étude détaillée du dos­sier de la Congré­ga­tion rela­tif à l’édition, en 1744, du Dia­lo­go (II‑3). Inter­ro­gés sur la pos­si­bi­li­té de l’insérer dans l’édition des Œuvres com­plètes de Gali­lée en pré­pa­ra­tion à Padoue, « les Consul­teurs ont consi­dé­ré que l’auto­risation allait de soi, fai­sant entiè­re­ment confiance aux pro­po­si­tions des impri­meurs et ne don­nant aucune consigne sup­plé­men­taire » (p. 134). Tou­te­fois le dos­sier connaî­tra plu­sieurs rebon­dis­se­ments suc­ces­sifs. En effet, le Dia­lo­go avait été asso­cié pré­cé­dem­ment à des textes, non gali­léens, témoi­gnant d’une « conci­lia­tion » pos­sible entre la thèse coperni­cienne et l’Écriture. Pour rem­pla­cer ces textes annexes, on (l’A. sug­gère qu’il peut s’agir d’Ambrogi) mit à la place la Dis­ser­ta­tion sur le sys­tème du monde des Anciens Hébreux du P. Cal­met, sans s’apercevoir que cer­taines lignes de ce texte ren­ver­saient en fait la pers­pective géné­rale qui se pré­sen­tait comme un expo­sé magis­tral de la cos­mo­lo­gie biblique dans une optique géo­cen­trique. L’éditeur des Œuvres com­plètes de Gali­lée fut donc ravi de se voir « impo­sé » un texte en réa­li­té ana­logue à ceux qu’on vou­lait reje­ter, et pour mieux le faire voir, il aurait, typo­gra­phi­que­ment, asso­cier étroi­te­ment la Dis­ser­ta­tion et le Dia­logo, qui vont dans le même sens, et sépa­ré, par une pagi­na­tion dif­fé­rente, la sen­tence et l’abjuration gali­léennes, comme si elles étaient étran­gères au corps véri­table de l’ouvrage (pp. 152 – 153) ! Par delà cette sin­gu­lière méprise, il res­sort sans sur­prise de ce dos­sier que 1744 n’est plus ni 1616 ni 1633 : « il y a », com­mente le Père Mayaud, « le para­doxe de ces trois feux verts suc­ces­sifs de la part de Rome, dont le troi­sième mani­feste peut‐être […] une cer­taine impa­tience, comme si l’affaire avait trop duré du point de vue romain ! On a presque l’impression que tout ceci, fina­le­ment, n’avait pas grande impor­tance au niveau des déci­deurs, les Car­di­naux, et que suf­fi­sait l’insertion de la sen­tence et de l’abjuration » (p. 161).

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Avec la troi­sième par­tie de cette étude, nous retrou­vons un moment capi­tal de cette his­toire, en l’occurrence « le retrait de l’Index ». Dans un cha­pitre qui dénote de part la pau­vre­té de son argu­men­ta­tion, l’A. com­mence par évo­quer deux pro­ta­go­nistes pos­sibles du retrait (III‑1) : Bos­co­vich étant rapi­de­ment écar­té, il en vient au pape Benoît XIV qui sera, selon lui, « le prin­ci­pal pro­ta­go­niste » (p.173) de ce retrait. Après un cha­pitre — jus­ti­fié cette fois même du point de vue des livres coper­ni­ciens — sur la vie de la Congré­ga­tion et la tenue des archives à l’époque du retrait (III‑2), l’A. se tourne vers le retrait lui‐même (III‑3). Une sur­prise de taille nous y attend, par rap­port à laquelle « l’épisode Cal­met » pa­raît bien ano­din. Lors de la séance par­ti­cu­lière du 16 avril 1757 — et c’est le seul texte re­latif à cette ques­tion que l’A. a pu retrou­ver dans les archives —, il est déci­dé : « Ceci ayant été trai­té avec Notre Sei­gneur le Très Saint [Père], que soit omis le décret par lequel sont pro­hi­bés tous les Livres ensei­gnant l’immobilité du soleil et la mobi­li­té de la terre » (p. 197). Tou­te­fois si, du décret de 1616, la condam­na­tion géné­rique de tous les livres ensei­gnant la mobi­li­té de la Terre et l’immobilité du Soleil (Libri omnes docentes) sera bel et bien reti­rée de l’Index de 1758, les condam­na­tions spé­ci­fiques de Coper­nic, Fos­ca­ri­ni et Die­go de Zúñi­ga, et celles, plus tar­dives, de Kepler et de Gali­lée, seront conser­vées, alors que, par iden­ti­té de rai­son, leur sup­pres­sion devait aller de pair avec celle du décret qui les avait condam­né ! Il fau­dra près de 80 ans, et de nou­velles péri­pé­ties, pour cor­ri­ger cet oubli qui réduit le retrait de 1757 à un retrait « par­tiel » et qui témoigne, selon l’expression du Père Mayaud lui‐même, d’«illogisme » (p. 189). Il est vrai qu’à cette époque, la Congré­gation était noyée dans les pro­blèmes liés à la refonte de l’Index, tels la ques­tion de savoir s’il fal­lait ou non mar­quer d’un asté­risque les livres défen­dus sous peine d’excommunica­tion réservée

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Le décret por­tant la condam­na­tion de 1616 nous avait paru excep­tion­nel ; le décret por­tant sa supres­sion ne l’est donc pas moins : appa­ri­tion inat­ten­due lors de ques­tions ponc­tuelles liées à la refonte de l’Index et menées lors d’une simple séance par­ti­cu­lière, absence de tout docu­ment fai­sant état d’un exa­men préa­lable de la ques­tion, inca­pa­ci­té à com­prendre que le retrait du décret condam­nant tous les livres coper­ni­ciens incluait con­séquemment le retrait des livres coper­ni­ciens nom­mé­ment pro­hi­bés… Pour rendre compte de ces par­ti­cu­la­ri­tés, le Père Mayaud a déve­lop­pé la thèse suivante :

« En l’absence de toute autre indi­ca­tion, et puisque Bos­co­vich semble bien s’enfermer tout au long des années 1750 dans sa ten­tative de conci­lia­tion entre l’immobilité de la Terre et le sys­tème new­to­nien, nous aurions ten­dance à pen­ser, à par­tir des faits ci‐dessus et mal­gré toute la fra­gi­li­té de la recons­truc­tion, que le retrait de 1757 pro­vien­drait d’une ini­tia­tive propre de Benoît XIV, et qu’elle aurait été sus­ci­tée non pas par une demande éma­nant des milieux romains proches mais plu­tôt par l’article de d’Alembert dans l’Ency­clo­pé­die. […] Nous pou­vons dire que l’aspect désespéré­ment lacu­naire des docu­ments que nous devrons ana­ly­ser concer­nant le retrait irait bien dans le sens de l’hypothèse dont nous ve­nons d’exposer les élé­ments ; il appa­raî­tra en effet que la déci­sion a été prise au niveau le plus éle­vé et n’a pas per­mis à des opposi­tions de se déve­lop­per, qui auraient lais­sé leurs traces dans un dos­sier d’une ampleur ana­logue à celle des dos­siers de l’édition du Dia­logo en 1744 ou de l’affaire Set­tele » (p. 178, nous soulignons).

Il est vrai que le texte affirme que la ques­tion a été trai­tée avec le Sou­ve­rain Pon­tife, cepen­dant nous devons avouer que nous n’avons pas été convain­cu par cette interpréta­tion. Ten­tons de résu­mer son rai­son­ne­ment et son argu­men­ta­tion. Après nous avoir pré­paré le ter­rain en affir­mant que Benoît XIV est un pape ouvert aux sciences ain­si qu’à une « saine et moderne phi­lo­so­phie » (III‑1), por­tant une atten­tion spé­ciale à la Congré­ga­tion et sou­cieux de répa­rer ce qui lui sem­blait avoir été injuste dans des pro­hi­bi­tions anté­rieures (III‑2), l’A. émet l’hypothèse d’une inter­ven­tion directe de Benoît XIV qui, non sus­ceptible de dis­cus­sion, expli­que­rait l’absence de tout docu­ments. Cette lec­ture trouve ce­pendant dans l’oubli de reti­rer les livres nom­mé­ment pro­hi­bés une dif­fi­cul­té, car com­ment ima­gi­ner qu’une demande expresse du Pape ait été trai­tée avec une telle légè­re­té, ou pire, que le Pape lui‐même ne se soit pas aper­çu d’une telle incon­sé­quence ? Pour l’A., Benoît XIV aura bien sûr deman­dé un retrait total, mais absor­bé par la ques­tion des pro­hibitions géné­riques, Ric­chi­ni n’aura rete­nu que la par­tie géné­rique de sa demande, ou­bliant les condam­na­tions spé­ci­fiques, et comme Benoît XIV mour­ra avant que ne paraisse l’Index, il ne pour­ra jamais s’apercevoir de cette erreur, qui, en tant que manque patent de com­mu­ni­ca­tion de l’information, peut éga­le­ment résul­ter de cette inter­ven­tion papale menée hors des cir­cuits habi­tuels de la Congrégation.

L’interprétation du Père Mayaud revient en quelque sorte à rendre « res­pon­sable » le Sou­ve­rain Pon­tife de tous ces dys­fonc­tion­ne­ments, qui, sinon, témoi­gne­raient d’une légè­reté à peine croyable. Mais la ques­tion sui­vante n’a peut‐être pas été assez exa­mi­née : pour reti­rer l’article Libri omnes docentes fallait‐il, encore en 1757, une inter­ven­tion ex­presse du Pape ? Lors de l’édition du Dia­lo­go, une dizaine d’années plu­tôt, n’a‑t-on pas eu le sen­ti­ment que les Car­di­naux se dés­in­té­res­saient de cette ques­tion ? Et le cha­pitre sui­vant (III‑4), dans lequel l’A. étu­die pré­ci­sé­ment les effets de ce retrait par­tiel, ne nous donne‐t‐il pas éga­le­ment l’impression que ce retrait, d’ailleurs très rare­ment men­tion­né, est res­té sans véri­tables consé­quences : le mal­en­con­treux main­tien à l’Index des livres nom­mé­ment pro­hi­bés n’empêchera pas les coper­ni­ciens de se décla­rer coper­ni­cien, pas plus que le retrait du Libri omnes docentes ne contrain­dra les anti‐coperniciens à chan­ger d’opinion. Ce retrait, qui pas­se­ra inaper­çu et qui n’intéressait plus grand monde car la ques­tion était réso­lue depuis long­temps, nécessitait‐il donc vrai­ment un pro­ta­go­niste de l’envergure de Benoît XIV ? N’est-ce pas plu­tôt la consi­dé­ra­tion du cas des articles géné­riques menée lors de la refonte de l’Index qui a été l’occasion de « se sou­ve­nir » du Libri omnes docentes et donc de le sup­pri­mer, certes avec l’autorisation papale, mais sans ce­pendant y prê­ter suf­fi­sam­ment d’attention que pour s’apercevoir de toutes les consé­quences de cette sup­pres­sion ? En l’absence de docu­ments plus pro­bants, la ques­tion ne peut être résolue.

Le carac­tère lacu­naire du décret de 1757 pro­vo­que­ra cepen­dant, en 1820 – 1823, l’af­faire Set­tele (III‑5) : celui‐ci, deman­dant si l’on pou­vait par­ler ouver­te­ment du mouve­ment de la Terre, se ver­ra oppo­sé le refus farouche (et par­fai­te­ment iso­lé) d’Anfossi, Maître du Sacré Palais, qui main­tien­dra sa posi­tion en dépit de l’accord de la Congré­ga­tion et du Sou­ve­rain Pon­tife ! C’est à cette occa­sion qu’on pren­dra conscience de l’inconsé­quence qui résul­tait du retrait du Libri omnes docentes et du main­tien des cinq livres co­perniciens nom­mé­ment pro­hi­bés dans l’Index. S’ouvre alors un débat inté­res­sant sur l’exacte signi­fi­ca­tion des décrets de 1616 et de 1757, sur leur carac­tère réfor­mable, et sur la dif­fi­cul­té d’effectuer un retrait aus­si tar­dif des livres coper­ni­ciens… sans être la risée du Siècle et sans don­ner l’impression d’un désa­veu des déci­sions anté­rieures. L’A. sou­ligne magis­tra­le­ment (p. 259) en quoi les décrets de 1820 et 1822 résul­tant de cette affaire opèrent à leur tour une lec­ture res­tric­tive de la déci­sion de reti­rer le Libri omnes docentes. C’est fina­le­ment en 1835 (III‑6), et une nou­velle fois de manière on ne peut plus abrupte, que le retrait com­plet sera réalisé.

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Dans la qua­trième par­tie inti­tu­lée « après le retrait », le Père Mayaud étu­die la récep­tion du retrait défi­ni­tif de 1835 (IV‑1) ; trace les effets de la réforme de Léon XIII et l’histoire de la sup­pres­sion ulté­rieure de l’Index (IV‑2) ; avant de clore son étude par quelques ap­pendices sur l’histoire de l’impri­ma­tur, sur les rai­sons de l’importance prise par l’Écriture dans ces ques­tions — une thé­ma­tique fon­da­men­tale qui se trouve bizar­re­ment reje­tée dans un appen­dice —, et sur des docu­ments complémentaires.

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En réa­li­té, ce sont presque trois études qui par­courent cet ouvrage : une his­toire de la Congré­ga­tion de l’Index (I‑1 – 2‑3 ; II‑1 ; III‑2 ; IV‑2) ; une his­toire de la condam­na­tion et de la révo­ca­tion des livres coper­ni­ciens (essen­tiel­le­ment I‑4 ; III‑1 ; III‑3 ; III‑6 et, de manière plus secon­daire, II‑2 – 3 ; III‑5) ; et enfin une his­toire de la récep­tion de ces condam­na­tions et révo­ca­tions (I‑5 ; III‑4 ; IV‑1).

En ce qui concerne la pre­mière, l’impression qui s’en dégage — et que confirme d’ailleurs la seconde — est que la Congré­ga­tion de l’Index est déci­dé­ment une ins­ti­tu­tion par trop humaine : même dans une matière aus­si impor­tante que la mise à l’Index d’un auteur ou que sa sup­pres­sion, les ava­tars en tous genres sont de rigueur. Ain­si le Père Mayaud — et nous n’oserons pas faire davan­tage que de reprendre ces termes — sou­ligne par exemple que « les péri­pé­ties concer­nant la pro­hi­bi­tion des ouvrages de Cam­pa­nel­la sont assez re­marquables » et qu’elles nous révèlent « des aspects tout à fait sin­gu­liers du fonctionne­ment de la Congré­ga­tion » (p. 91), tan­dis que l’exécution de leur retrait pré­sente, lui aus­si, des « aléas com­plexes » (p. 103) ; recon­naît notam­ment que « la pro­mul­ga­tion des prohibi­tions décré­tées n’était pas faite de manière sys­té­ma­tique et ordon­née » (p. 107), tant et si bien que le Pro­gym­nas­ma­tum de Phi­lippe Lans­berge pour­ra pas­ser entre les mailles du filet puisque, condam­né, cette déci­sion ne sera pour­tant jamais pro­mul­guée (pp. 109 – 110) ; est bien obli­gé de noter qu’en 1765 le Pré­fet de la Congré­ga­tion de l’Index igno­rait les consé­quences du retrait de 1757…

Quant aux grandes étapes de la condam­na­tion et de la révo­ca­tion des livres coperni­ciens, c’est un dos­sier bien étrange qui s’offre à nous, où les déci­sions les plus impor­tantes tombent de manière abruptes. Qu’il faille y voir une inter­ven­tion directe du Pape, est qua­si cer­tain pour le décret de 1616, mais pour le reste, cette manière de pro­cé­der ne reflète‐t‐elle pas sur­tout l’embarras cau­sé par ce dos­sier ? De ce point de vue, la pré­sente étude se révèle en défi­ni­tive assez déce­vante. Mais il serait tout à fait injuste d’en faire grief à son auteur : l’historien est ici tri­bu­taire de ces archives et, comme le recon­naît le Père Mayaud (p. 275), celles‐ci se sont révé­lées très loquaces pour deux épi­sodes secon­daires — l’édition de 1744 du Dia­lo­go et l’affaire Set­tele — et fort peu pro­lixes lors des moments forts de l’affaire copernicienne.

Le Père Mayaud a été char­gé d’une étude : il l’a menée avec un zèle, une minu­tie et une éru­di­tion incom­pa­rables, bras­sant une masse d’archives inima­gi­nable, fai­sant preuve d’une indé­pen­dance d’esprit qui honore l’Institution qui lui a deman­dé cette tra­vail, mais au final l’histoire qu’il nous relate est moins belle et peut‐être même moins inté­res­sante que nous ne l’espérions. Qu’y peut‐il ? L’historien raconte l’histoire, il ne l’écrit pas ! 

1. Lettre inédite de la cor­res­pon­dance d’Antonio Fava­ro conser­vée à la Domus Gali­laea­na de Pise (n°8794).

2. Comme la numé­ro­ta­tion des cha­pitres recom­mence à chaque par­tie, nous fai­sons pré­cé­der le numé­ro du cha­pitre par l’indication, en carac­tères romains, de la par­tie à laquelle il appartient.

3. En tant qu’ouvrage coper­ni­cien, une mise à l’Index spé­ci­fique de l’Epi­tome n’était pas requise, puisqu’il se trou­vait d’office condam­né par le Liber omnes docentes. Mais trom­pé par la pré­sence du terme « ani­ma », Ingo­li crut erro­né­ment y dece­lé l’erreur visée par le cin­quième Concile géné­ral de Constan­ti­nople et selon laquelle les corps célestes sont ani­més par une âme et une intel­li­gence, d’où cette condam­na­tion spé­ci­fique (cf. p. 68).

4. Nous n’ironisons pas : tel est bien le sujet du para­graphe qui suit immé­dia­te­ment celui fai­sant état de la déci­sion de retrait que nous venons de citer.

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