Plutôt que la peur, la confiance en nos étudiants et en nos enseignants ! Simples propos sur les réformes du décret Paysage

La Libre – 2024.04.25 – Réforme Glatigny

Depuis quelques semaines, des titres alar­mistes, voire apo­ca­lyp­tiques, inon­daient nos jour­naux. Si le nombre exact sem­blait encore sujet à dis­cus­sion, le fait, lui, ne l’était pas : des dizaines de mil­liers de nos étu­diants, dont on joue­rait « l’avenir à la rou­lette russe », allaient être « mena­cés d’expulsion » par une « machine à exclure » com­plè­te­ment sourde à la « détresse des jeunes et de leurs familles ». Cette « catas­trophe » était tel­le­ment grave qu’elle parais­sait même de nature à pro­vo­quer la chute du gouvernement !

La cause d’une telle défer­lante ? La volon­té sou­daine d’abandonner la réforme du décret Pay­sage pour­tant dûment votée par nos par­tis poli­tiques avant d’être annon­cée et expli­quée urbi et orbi afin que tous les étu­diants concer­nés puis­sent serei­ne­ment adap­ter leur stra­té­gie en conséquence.

La liste des nombreux perdants

En réac­tion à ces titres alar­mistes, une mul­ti­tude de voix en faveur du main­tien de cette réforme s’est rapi­de­ment fait entendre en pro­ve­nance de tous les hori­zons. Le bon sens et la rai­son sem­blaient devoir l’emporter sur un posi­tion­ne­ment lar­ge­ment déter­mi­né par l’approche des élec­tions. Il n’en fut rien. Il pour­rait dès lors sem­bler que la farce soit jouée et que tout ait été dit. Mais est‐ce si sûr ? Ne reste‐t‐il pas à nous inter­ro­ger sur la répar­ti­tion des rôles que d’aucuns ont vou­lu impo­ser à l’entame de ce débat et sur les pré­sup­po­sés — lar­ge­ment incons­cients, mais néan­moins fon­da­men­taux — qui gou­vernent les pos­tures des uns et des autres ? Ten­tons l’exercice.

La répar­ti­tion des rôles tout d’abord. Elle est d’une sim­pli­ci­té désar­mante : d’un côté, la recon­nais­sance d’une souf­france qui sus­cite une bien­veillance ; de l’autre, un éli­tisme, voire une indif­fé­rence, qui s’accommode d’une plus grande sévé­ri­té. Mais est‐il si sûr que les par­ti­sans d’un aban­don, d’un mora­toire, et fina­le­ment d’amendements de cette réforme soient les seuls à être sen­sibles à ce qui serait « la » souf­france étu­diante ? Le camp pré­sen­té comme celui de la « sévé­ri­té » ne pourrait‐il pas, lui aus­si, être sen­sible à « des » souf­frances, notam­ment étu­diantes ? Celles de ceux qui, trop avan­cés dans des études qui pour­tant ne leur conviennent pas vrai­ment, n’ont plus le choix de faire marche arrière ? Celles de ceux qui per­çoivent bien, dans le regard des autres étu­diants ralen­tis par leur pré­sence, qu’ils ne sont pas vrai­ment à leur place ? Mais aus­si celles de ces familles dont la situa­tion finan­cière com­mence à deve­nir pro­blé­ma­tique en rai­son d’études qui n’en finissent pas ? Ou même celles de ces ensei­gnants obli­gés de devoir, encore et tou­jours, mettre en échec des étu­diants en fin de par­cours aux­quels le sys­tème a pour­tant si long­temps lais­sé croire qu’à la longue, for­cé­ment, ils y arri­ve­raient ? Non, quoiqu’on ait vou­lu nous le faire croire, per­sonne, dans ce débat, n’a le mono­pole du cœur !

Les pré­sup­po­sés enfin. Voi­ci le pre­mier : hors d’un diplôme de l’enseignement supé­rieur point de salut. Il conduit natu­rel­le­ment à un second : il ne sau­rait être ques­tion de res­treindre le nombre de ten­ta­tives per­met­tant d’obtenir un tel diplôme, car cela revien­drait à pro­cé­der à des « expul­sions » sources d’une « détresse » insurmontable.

“Il faut de tout pour faire un monde”

Il suf­fit d’imaginer ce que serait un monde uni­que­ment com­po­sé de diplô­més de l’enseignement supé­rieur pour per­ce­voir l’ineptie de ce pre­mier pré­sup­po­sé, d’ailleurs contre­dit par cette locu­tion popu­laire : « il faut de tout pour faire un monde » ! Mais si cette locu­tion est fré­quem­ment pro­non­cée avec un ton de rési­gna­tion, il n’en demeure pas moins que la néces­si­té qu’elle exprime est fort heu­reuse. Fort heu­reuse pour le monde, dont la beau­té réside dans la diver­si­té, mais aus­si pour nos jeunes, dont l’unique pré­oc­cu­pa­tion doit être de trou­ver, dans ce monde, leur place et donc leur bon­heur… sans devoir se sou­cier que cela soit dans ou en dehors de cet ensei­gne­ment supé­rieur auquel j’ai pour­tant consa­cré toute ma vie. Devoir recon­naître qu’on n’a pas les apti­tudes néces­saires pour réus­sir des études supé­rieures et devoir s’orienter vers une autre filière de for­ma­tion, ce n’est donc en aucune façon com­pro­mettre ni son ave­nir pro­fes­sion­nel ni son épa­nouis­se­ment per­son­nel. Oserais‐je ajou­ter, avec un brin de malice, qu’un tel pré­sup­po­sé ― « hors de l’enseignement supé­rieur point de salut » ― mani­feste la pré­sence d’une pos­ture éli­tiste dans le camp de ceux‐là mêmes qui se plaisent à dénon­cer l’élitisme de leurs adversaires ?

Le second pré­sup­po­sé est, à mon sens, le plus insi­dieux. Assi­mi­ler à un drame insur­mon­table le fait que cer­tains étu­diants soient plus rapi­de­ment ame­nés à se réorien­ter, n’est-ce pas dou­ter de leur capa­ci­té à fina­le­ment accueillir posi­ti­ve­ment ce qui d’emblée s’apparente sans doute pour eux à un échec ? N’est-ce donc pas, sous le cou­vert de prendre haut et fort leur défense, dou­ter fon­da­men­ta­le­ment de leur rési­lience et même de leur intel­li­gence ? A contra­rio, réser­ver une nou­velle ten­ta­tive ou la pour­suite de leurs études aux seuls étu­diants pour les­quels une telle mesure a vrai­ment du sens n’est-ce pas, au contraire, se mon­trer confiant ? Confiant en la capa­ci­té des jurys à choi­sir ce qu’il y a de mieux pour chaque cas par­ti­cu­lier. Confiant en la capa­ci­té de nos jeunes à rebon­dir. Confiant en la capa­ci­té de leurs ensei­gnants et de leurs parents à les y aider.

S’il y a quelque part de véri­té dans ce pro­pos, voi­là donc la répar­ti­tion ini­tiale des rôles une nou­velle fois trou­blée : ceux qui paraissent défendre au mieux nos étu­diants ne seraient pas for­cé­ment ceux qui leur trans­met­traient la plus forte confiance en eux ! Et ceux qu’on se plait à mon­trer comme les plus indif­fé­rents ne seraient pas néces­sai­re­ment ceux qui seraient les moins por­teurs de mes­sages posi­tifs. Rien d’étonnant ! Car si tous ont, j’en suis sûr, l’intime convic­tion d’œuvrer pour le bien de nos étu­diants, il n’en demeure pas moins, Mon­tes­quieu le disait déjà, qu’« il est mille fois plus aisé de faire le bien, que de le bien faire ». Autre­ment dit, il ne suf­fit pas de vou­loir bien faire, pour réel­le­ment arri­ver à bien faire.

Défendre le maintien

Au‐delà des nom­breux argu­ments avan­cés, c’est donc parce que j’ai foi en la rési­lience de nos étu­diants et confiance en la capa­ci­té de dis­cer­ne­ment de mes col­lègues ensei­gnants, mais aus­si en la capa­ci­té de nos poli­ti­ciens à se remettre en ques­tion pour fina­le­ment en sor­tir gran­di que j’ose encore prendre la plume pour défendre le main­tien de ce qui fait l’essence de la réforme « Glatigny ».

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